L’art est mon repère principal…

 

Jeanne, 20 ans

D’où venez-vous ?

De Nice, mais j’habite Paris depuis que j’ai deux ans.

Que faites-vous dans la vie ?

Je suis encore étudiante ; je viens d’obtenir ma licence de lettres modernes à la Sorbonne où je suis entrée après 2 ans de prépa littéraire. J’ai aussi passé les concours de cinéma d’animation et j’ai été prise à Georges Méliès, j’en ai pour 4 ans de formation.

Qui est Jeanne ?

Difficile à dire… je suis une personne créative, je pense que c’est un peu mon point de repère dans la vie, la créativité. Je suis quelqu’un de généreux et je pense que la vie est faite de rencontres, donc j’aime passer du temps avec les gens. Je pense que chacun peut s’enrichir au contact de l’autre.

Quel genre d’enfant étiez-vous ?

Mon enfance a été un peu compliquée, socialement parlant : j’ai vécu du harcèlement moral pendant 8 ans, donc je ne me suis pas ouverte aux autres. J’ai un peu l’impression d’avoir eu une enfance atrophiée… En revanche, ça m’a boostée niveau maturité, et j’en ai fait une force.

A quel moment avez-vous ressenti le besoin de vous exprimer dans votre art ?

Depuis petite. J’ai dû commencer à dessiner vers mes 4 ans, et ensuite ça ne m’a pas quittée. Je ne saurais pas expliquer pourquoi… Les films de Miyazaki y sont sans doute pour beaucoup. Le premier que j’ai vu était « Princesse Monoké » , j’avais 6 ans ; ce film est un de mes repères absolus en matière de cinéma d’animation. Il y aussi la bande dessinée : mes parents ont toujours eu une grande collection de BD, et quand j’étais petite, je me suis mise rapidement à lire des « Thorgal », beaucoup de Loisel aussi, et tout cela m’a influencée.

Pourquoi le dessin, et pas la peinture, la danse ou un sport ?

Le dessin m’est tombé entre les mains, c’est très accessible en fait : on prend un crayon, un papier et c’est parti ! On peut vraiment apprendre à dessiner en autodidacte. Et comme je le disais ce sont aussi les bandes dessinées de mes parents qui m’ont encore plus poussée là-dedans. Ensuite j’ai expérimenté plein de choses : la peinture, la couture, le collage… Je suis très manuelle donc je construis beaucoup de bricoles. Quand j’étais petite,  je construisais des petits ascenseurs et autres dispositifs avec des trucs de récup’ pour mes jouets… ça m’est resté. Je confectionne aussi des costumes pour la « Japan Expo » et pour des jeux de rôle grandeur nature. Tout ça se recoupe en fait, ça se mélange ; un matériau peut m’inspirer pour le dessin et inversement. Mais le dessin c’est un peu l’essence de tout pour moi.

Vous disiez être arrivée à Paris à l’âge de deux ans, donc vos parents ont fait ce saut de la région de Nice vers Paris. Est-ce que ça a pu déclencher votre fibre artistique ?

Non, je ne pense pas, parce que j’avais 2 ans donc je n’ai pas de souvenir. Mes premiers souvenirs datent de l’appartement où je vis maintenant, qui n’était même pas le premier… donc non je ne pense pas que ce soit ça qui ait déclenché cette fibre. Je n’ai aucun souvenir des moments où on vivait à Aix-en-Provence.

Comment définissez-vous votre style ?

Parler de style est délicat. Je pense qu’en tant qu’artiste il est difficile de voir quel est son propre style, surtout si jeune. Ça vient avec le temps je pense.

Votre art alors, avant d’arriver au style ?

Je vais me répéter, mais encore une fois je pense que le dessin est quelque chose de très accessible. Tout le monde est capable de prendre un crayon et de dessiner quelque chose, que ce soit beau, laid – et encore ce sont des notions très subjectives –. Il n’y a pas besoin de matériel : t’as un crayon et t’y vas. C’est comme l’écriture en fait, je trouve. Après tu te forges au fil des bandes dessinées que tu lis, des artistes que tu admires, des expositions que tu vas voir… C’est pareil pour l’écriture quand on lit des bouquins. Ecriture et dessin sont très liés en fait. Moi en tout cas quand j’écris, ça me donne envie de dessiner, quand je dessine ça me donne envie d’écrire, c’est vraiment complémentaire.

Et donc le style…?

Comme je le disais, je pense que c’est difficile en tant qu’artiste de savoir quel est son style. Les autres le voient et ils le reconnaissent, ils me disent « Si, tu as ta patte » mais moi je ne le vois pas, donc je ne saurais vraiment pas comment le définir. Je pense qu’il faut s’adresser aux gens pour ça, aux personnes qui reçoivent les œuvres, qui les ont devant les yeux. En tout cas les quelques amis qui ont vu mes dessins y voient une identité assez forte, assez sombre aussi (on m’a souvent dit que certains étaient peut-être un peu glauques). Il y a peut-être un côté enfantin avec une espèce de cynisme… enfin c’est ce qu’on m’a dit, mais je n’ai pas montré mes créations à beaucoup de gens.

Qu’est-ce qui vous apporte le plus de joie dans votre art ?

Je pense que c’est le fait qu’il n’y ait absolument aucune limite. On peut partir n’importe où et le dessin peut servir de thérapie ou non. C’est un peu polyvalent. La création, plus que le dessin en tant que tel, est importante car je pense qu’elle fait avancer le monde : s’il n’y a plus de création, plus rien ne se passe, plus rien ne bouge.

Aimeriez-vous être reconnue en tant que personne, ou que ce soit votre travail qui soit reconnu ?

Mon travail plus que moi en tant que personne, même si ce n’est pas totalement dissociable.

Qu’est-ce que la reconnaissance représente pour vous ?

Les films d’animation sont des tranches de rêve. Être reconnue me permettrait de savoir que j’apporte aux gens ces tranches de rêve. Je vais revenir à Miyazaki : quand je regarde ses films même pour la cinquantième fois, ils m’apportent toujours la même jouissance, le même bien-être. Quand un de ses films se finit, c’est le dur retour à la réalité et là tu sais que c’est un pur moment d’onirisme qui t’a été offert. Et quand ça te le fait  chaque fois, ça signifie que c’est vraiment un bon film. Parce qu’il y a des films qu’on voit une fois, deux fois, et on n’a plus envie de les revoir. Mais je pense qu’avec une vraie œuvre d’art, on ne se lasse pas.

Avez-vous une mission ?

Je trouverais ça un peu pompeux de dire qu’on a une mission… Mais je dirais que c’est la proximité avec les gens. L’artiste ne les connaît pas, mais il sait que son art pénètre en eux et leur procure une émotion quelle qu’elle soit. Pouvoir s’apporter quelque chose mutuellement sans se connaître, je trouve ça incroyable. Je ne pars pas du tout dans des théories philosophiques sur l’importance de l’art dans la vie… ça tu vas acheter un bouquin et tu as une réponse. Certaines personnes ont des déclics devant des œuvres d’art, c’est puissant. Je pense qu’à la limite la mission c’est cette notion de création, est-ce qu’on peut stimuler d’autres personnes pour les emmener dans ce processus de création elles aussi.

Quelle touche personnelle souhaitez-vous apporter dans votre art ?

C’est un peu vague comme question car l’art, c’est toujours personnel…

Est-ce difficile aujourd’hui d’être créatif et novateur dans votre domaine ?

Je le pense, parce qu’énormément de choses ont été faites (pour ne pas dire tout). Ce qui est caractéristique depuis 4 ou 5 ans, c’est qu’on n’arrête pas de faire des réadaptations. C’est difficile de trouver de vrais films novateurs, il y a une stagnation ces derniers temps.

Je suis persuadée que c’est en revenant à la 2D et à la stop motion qu’on va pouvoir en sortir ; parce qu’avec la 3D, se développe une standardisation hollywoodienne sur tous les films d’animation, qui est absolument insupportable. Avec la 2D ou la « stop motion » on peut passer 8 ans sur un film, la 3D c’est très immédiat, une fois qu’on a tout enregistré ça va très vite et du coup c’est la quantité, la quantité, la quantité et on produit des films absolument catastrophiques… c’est vraiment dommage.

Donc oui c’est difficile. Après c’est sûr qu’on peut puiser dans le passé pour recréer de nouvelles choses.

Qu’est-ce qui vous intéresse précisément dans ce moyen d’expression ?

Le côté public de masse, dans le sens où tout le monde peut aller voir un film au cinéma. Le cinéma rebute moins les gens que les expositions, où ils pensent qu’ils ne vont rien comprendre s’ils n’ont pas de notions préalables. C’est dommage parce qu’en vrai je pense qu’un tableau peut toucher tout le monde – mais de façon différente.

Au moins avec le cinéma – il y a cette espèce de dictature de l’image numérique, avec des écrans partout – on détient un moyen artistique de pouvoir continuer à toucher les gens, peut-être même malgré eux, et de les surprendre. Même s’il y a beaucoup de choses qui passent sur les écrans aujourd’hui, et peu à retenir finalement.

Est-ce facile pour vous de vous détacher de vos créations ?

Oui et non. On sait qu’on dessine pour un public, mais en premier lieu j’ai tendance à dessiner pour moi. Cependant il y a une nuance à faire : dans le cinéma d’animation en fait il y a un réel travail de groupe, c’est vraiment une espèce de mini famille le temps du film.  Quand je dessine chez moi toute seule c’est beaucoup plus personnel, parce que ce n’est pas un projet que j’élabore avec des gens, c’est vraiment moi en tant que tel, moi mise à nu. Donc je pense que par exemple pour les peintres ou les gens qui exposent c’est beaucoup plus difficile de vendre un travail qu’ils ont produit seuls, et pour eux peut-être même à la base, que de vendre un travail collectif ; parce qu’un travail collectif a cette dimension d’émulation créative qui n’appartient pas qu’à soi. Je ne pourrais pas me détacher facilement d’un travail uniquement personnel.

Où peut-on voir vos dessins ?

Pour l’instant nulle part, je n’ai pas fait d’exposition, et je n’ai pas encore de site.

Vendez-vous déjà des dessins ou pas encore ?

Non, pour l’instant je n’ai jamais rien vendu. Et en admettant qu’un jour je devienne célèbre et que ma subsistance soit assurée, je pense que je demanderai aux clients le prix qu’ils voudraient mettre dans l’œuvre. C’est très difficile de donner un prix à une œuvre. Je préfèrerais vendre une œuvre à quelqu’un qui l’apprécie vraiment, indépendamment de ce qu’il veut ou peut débourser.

Vous sentez-vous libre d’exprimer ce que vous voulez, de dessiner ce que vous voulez ?

Honnêtement oui. Après, est-ce qu’on va partir dans les attentats Charlie et le fait qu’aujourd’hui la liberté d’expression en France commence à être menacée… Mais je pense que je me sens d’autant plus libre. Si on commence à se dire qu’il faut se mettre des barrières parce qu’on a peur, c’est le début de la fin.

A quel moment de la journée vous sentez-vous inspirée ?

Alors ça honnêtement je n’en ai aucune idée. Ce n’est absolument pas une règle. Il y a même parfois des phases de plusieurs jours ou de plusieurs semaines où je ne suis pas du tout inspirée, et inversement.

Dans votre milieu, que représente la lumière ?

La lumière est d’abord importante pour moi en tant que personne : quand il ne fait pas beau, je suis déprimée. L’humeur influe sur les dessins. Par ailleurs la lumière est très importante car elle permet de créer une atmosphère – surtout dans les décors.

Quelle définition donneriez-vous de l’obscurité ?

J’ai envie de dire que sans obscurité il n’y a pas de lumière, et inversement. On peut partir dans le clair-obscur du Caravage, de toute façon tous les artistes l’avaient compris.

Que représentent pour vous les couleurs ?

Dans mes dessins je travaille très peu en couleurs. Je reste souvent en noir et blanc, et finalement je pense que c’est un peu comme la lumière, ça participe d’une atmosphère et d’une ambiance. Je ne sais pas pourquoi, pour moi la couleur c’est plutôt des sons, bizarrement je la rapproche plus de la musique que du dessin.

L’art donne-t-il un sens à votre vie ?

Oui, c’est mon repère principal, même quand tout s’ébranle autour de moi… Je vais prendre l’exemple de la Khâgne (la deuxième année de prépa littéraire) : ça été une année très difficile pour moi, j’ai fait une dépression. Tout s’effondrait autour de moi, j’étais vraiment en crise existentielle face à l’absurdité du monde, face à l’absurdité de ce que je faisais. Et je me demandais : « mais finalement, pourquoi est-ce que je suis ici, quel est l’intérêt de ce que je suis en train de faire ? ». Et le seul repère qui n’a jamais bougé, c’est celui de l’art et de la création. Tout pourrait aller mal dans ma vie, je pourrais toujours me raccrocher à ça. C’est vraiment un soulagement.

Quel est le rôle de vos proches dans votre travail ?

Mon père a toujours voulu que je fasse une école d’ingénieur parce que pour lui c’est la sécurité. Il disait : « tu iras dessiner des Mickeys quand tu auras un travail et que tu auras le filet de sécurité ». Ce qui fait que je suis allée en prépa et que j’ai passé ma licence. Même si ce n’est pas dans le milieu scientifique… Le jour où mon père aura vraiment un regard rassuré sur ce que je fais, c’est certainement quand j’aurai un travail ; on verra la reconnaissance plus tard… Ma mère, elle, est un peu plus derrière moi au niveau créatif, elle s’inquiète moins, elle fait plus confiance à mes capacités d’adaptation et au fait que j’ai les pieds sur terre. Mon père croit que j’ai la tête dans les nuages, mais en réalité je suis très pragmatique.Mes amis m’aident en tant que conseillers. Parfois je leur soumets mes dessins, je veux savoir ce qu’ils en pensent. J’ai beaucoup d’amis qui dessinent aussi, et c’est important pour moi d’échanger avec eux, parce que ce sont des gens que j’estime aussi pour leur travail.

Et l’amour dans tout ça, a-t-il sa place dans votre vie ?

Oui. Le travail n’est pas tout dans la vie. Trouver quelqu’un avec qui l’on est bien est important et fait partie des piliers du bonheur.

jeanne 20 ansVous souvenez-vous de votre premier bisou ?

C’est un très bon souvenir parce qu’en fait c’est arrivé assez tard, du point de vue de notre époque : j’allais sur mes 16 ans et le type allait sur ses 28.

Quel souvenir en gardez-vous ?

On avait passé une semaine ensemble, en fait c’était dans un groupe de potes ; on discutait bien, on partageait pas mal de trucs. C’était une espèce de jeu, surtout que c’était lui qui me charriait le plus sur mon âge. Ça s’est passé au cours d’une soirée, ça s’est fait comme ça, du coup c’était d’autant plus gratifiant comme moment (rires).

Selon vous quel est le secret de la longévité d’un couple ?

Je dirais la communication, même si c’est une réponse qui paraît banale… C’est souvent plus facile pour nous les femmes. Je pense qu’on a moins peur de s’exposer aux gens, je pense qu’on a plus de couilles que les hommes pour pas mal de trucs. Parce que la plupart du temps c’est pour se protéger que les hommes ne parlent pas.

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