Robin, 24 ans, poète et comédien
D’où vous est venue cette passion pour l’écriture et la poésie ?
Je pense que cela vient du milieu où j’ai grandi. Mes parents sont comédiens. Ils m’ont lu beaucoup de choses très tard. J’ai toujours le goût pour ça, je suis toujours allé au théâtre depuis petit, je pense que ça vient sûrement de là ; et aussi du rap, mais c’est assez récent, surtout du rap français. Je considère qu’il y a des rappeurs qui écrivent magnifiquement bien, comme Dovosky, Dovodka, Doskawua…, pas forcément les plus connus. Il faut vraiment les écouter parce que c’est vraiment très beau ce qu’ils écrivent. J’avais aussi un ami, Leo Joseboni qui maintenant fait du rap sur le nom de Doc Chado et fait partie du groupe Hoverclant. Je l’ai rencontré au lycée : on devait faire une dissertation. J’avais habituellement les meilleures notes en dissertation. Et, lui, un jour, il a eu une meilleure note que moi. Il avait fait quelque chose de très philosophique et super bien écrit ; donc on a un peu discuté et, de fil en aiguille, j’ai commencé à écrire des textes de rap. C’est donc lui qui m’a vraiment donné au début le goût à l’écriture. Après le rap, je suis passé très vite à la poésie classique.
Vous chantez aussi ?
Non, non, moi je n’ai jamais chanté, je n’ai jamais essayé.
Vous écrivez pour les autres ?
Non pas du tout, je n’écris vraiment que pour moi ; et, dans un sens, pour les autres aussi, quand je partage mes textes en les faisant lire à beaucoup de monde, ou quand je les déclame aussi. Mais j’écris pour moi à la base.
Qu’écrivez-vous ? Des textes, des romans, de la poésie ?
Ce sont des poésies en alexandrins, 12 pieds ; on considère que le rap c’est 16 pieds.
Vous avez grandi dans les livres, quel genre d’enfant étiez-vous ?
J’étais assez angoissé, terrifié par le monde, par l’école. J’ai beaucoup souffert à l’école, j’avais peur comment mentionner les choses. Pour moi, aller à l’école était une punition, une grande angoisse, parce qu’on allait me mettre des idées en tête, on allait m’obliger à faire des choses, et pas forcément comme je le désirais. Finalement je n’ai pas très bien vécu mes années d’école. J’étais un enfant angoissé, stressé, mais avec une grande joie de vivre et beaucoup de curiosité.
Quels sont vos moments les plus créatifs ?
Je pense que la création demande beaucoup de solitude, parce qu’il est nécessaire de se replier sur soi, dans sa tête. Par ailleurs, depuis que je travaille, j’écris moins, parce qu’un écrivain doit écrire tout le temps. Il écrit quand il prend le métro, le bus ; il écrit dans sa tête, il pense à des rimes, à des idées. En fait, cela prend beaucoup de temps. Le moment où tu couches tes idées sur le papier est juste une finalité, mais tu as déjà écrit le truc dans ta tête : pour moi ça fonctionne comme ça. Je pense aussi qu’il faut avoir une sorte de manque, vivre aussi un peu la souffrance. C’est important, mais il faut aussi garder un certain équilibre. Il ne faut pas non plus trop de souffrance parce que tu ne peux plus écrire. Tu serais trop dans le cliché ; tu vas écrire de la merde, un truc caricatural, si tu souffres trop. Mais tu ne peux pas être trop joyeux non plus. Par exemple, quand j’étais avec une nana, je n’arrivais pas à écrire non plus. J’étais trop happy, très joyeux, tout allait bien dans ma tête, je n’avais rien à écrire. Je pense que c’est vraiment un bon mélange entre les deux, c’est une sorte de souffrance que tu intériorises, que tu digères et que tu apprends à dominer pour en faire quelque chose.
Quelles sont vos projets à court terme ?
Continuer mon travail pendant environ un an. Ensuite, peut-être, faire du théâtre de façon plus professionnelle, mais je n’ai pas vraiment d’objectif précis. Je pourrais peut-être partir en voyage, c’est pour ça que je suis en train d’économiser. Je suis à la croisée des chemins, un peu paumé depuis plusieurs années. Tout cela est encore en discussion et en cheminement.
Avez-vous déjà essayé d’écrire des pièces de théâtre ?
C’est marrant cette question, parce que j’y pense parfois, et même beaucoup, que ce soit on alexandrins ou pas, mais je n’ai pas encore trouvé l’idée du sujet qui pourrait me porter.
Il faudra encore plus de souffrance et de frustration pour écrire et monter votre pièce ?
(Rires) Je pense que j’en ai déjà beaucoup en moi. (Rires)
Parmi toutes les fibres artistiques que vous avez, pourquoi choisir le théâtre ?
J’en ai déjà fait un peu, j’ai grandi dedans. Je pense que c’est un peu plus facile pour moi de me lâcher totalement. Moi, j’ai un naturel extraverti, pratique pour le théâtre. J’aurais pu faire autre chose, c’est vrai. J’adore danser mais je n’ai jamais suivi un cours de danse, je danse plus entre amis. Je ne suis pas là pour me lancer des fleurs, je suis loin d’être un danseur professionnel, mais plusieurs de mes amis me disent que j’ai un petit plus pour la danse. Mais, comme je vous l’ai dit, j’étais un enfant et un adolescent plein de peurs : peur de l’échec, peur d’entreprendre et de faire ce pour quoi je suis fait, ce qui a été un frein pour moi. Mais il ne faut pas parler au passé, peut-être que j’aurai toujours l’occasion de le faire. Pour vous dire, entre le théâtre et la danse, je ne sais pas ce que je préfère, j’adore danser, je me sens tellement libre quand je danse, que ce soit de la danse en ragga dancehall ou la rumba, le zumba break, l’électro swing, même la musique latino ou danser comme une femme parfois. J’aime tout dans la danse.
Quel est le rôle du théâtre pour vous ?
Je pense que le rôle de tout art est de “catharsiser”, il sert d’une certaine manière à vider ses émotions, ses problèmes. La catharsis, c’est prendre une émotion forte, que ce soit la joie, la douleur, la tristesse, la colère, et arriver à la contrôler par l’art. On l’exprime pour ne plus qu’elle fasse mal, pour qu’elle devienne quelque chose de bien, de bénéfique et qu’elle devienne une force créatrice. Je pense que tous les artistes font ça, que ce soit dans la danse, dans la poésie, dans le théâtre. Tous les artistes se ressemblent sur ce niveau-là, parce qu’ils “catharsisent” leur souffrance.
Quelles sont les artistes ou comédiens qui vous ont influencé ?
L’influence de mes parents m’a suffi.
Que veut dire le mot liberté pour vous ?
Le mot liberté ? C’est compliqué, ça peut être l’anarchie totale. La vraie liberté, c’est vraiment le contraire de cette belle citation : “Ma liberté commence là où s’arrête celle des autres”. Ceci amène aux règles instaurés par le biais de l’État, des règles démocratiques de vivre ensemble. Finalement, c’est le contraire, la liberté est un frein, c’est-à-dire j’accepte de freiner ma liberté, je ne fais pas tout ce que je veux, quand je veux, et comme je veux. Et en échange, on m’apporte la protection de l’État, la justice et le vivre ensemble. La liberté, c’est une notion très complexe. Dans une société moderne, on est plus ou moins libre, mais jamais totalement. Est-ce que la liberté totale est souhaitable ? C’est une notion très compliquée la liberté. C’est aussi l’inverse de l’égalité. Par exemple, dans notre système capitaliste, moderne, mondial, mondialisé, les Américains pensent qu’ils sont tous libres ; telle est leur idéologie. Si nous sommes tous libres, tu es bien d’accord que nous ne sommes pas tous égaux ; notamment du point de vue financier. À la naissance, même si nous sommes libres et égaux, on sait très bien comment ça va finir.
Est-ce que vous vous sentez libre ?
Non, pas vraiment. Je ne sais pas comment je pourrais me revendiquer comme tel ; mais en même temps, j’accepte que ma liberté soit freinée, et justement par des règles qui me paraissent normales, pour qu’on puisse vivre ensemble. Il y a une liberté que je suis heureux de ne plus avoir, mais il y a d’autres règles que je déplore, parce qu’on vit malheureusement dans un monde avec des écarts de richesse. Les gens sont de moins en moins libres, moins épanouis, ils ont de moins en moins la possibilité de faire ce qu’ils veulent et de vraiment vivre. C’est ce qui est en train de se passer avec les gilets jaunes actuellement. C’est ce qu’on est en train de vivre. Des gens ne peuvent plus vivre dignement et correctement alors qu’ils travaillent comme tout un chacun.
Vous sentez-vous investi d’une mission ?
Non, absolument pas. Aucun artiste doit se sentir porteur d’une mission ou autre. Encore une fois, on créée ses catharsis, ses émotions, pour exprimer les choses, pour partager. Et, en outre, si vous arrivez à toucher une personne, c’est déjà une victoire. J’ai réussi à toucher quelques personnes avec mes poèmes : c’est déjà magnifique. Je ne peux pas me voir comme un porteur de message ou investi d’une mission, c’est trop d’honneur et prétentieux.
Êtes-vous militant ?
Militant… Intellectuel oui, je touche ma bille dans ce que qui est un peu politique. Je m’y connais un peu là-dedans. Après, dans l’action véritable ? Je vais à certaines manifestations, mais il y a des gens qui sont beaucoup plus investis que moi, qui sont dans les associations et qui se bougent vraiment, eux sont de vrais militants.
Qu’est-ce qui vous motive pour écrire ?
Créer la beauté, créer quelque chose dont je suis fier, et aussi être libre d’exprimer ce que je ressens. J’essaie de toucher le beau par les mots, si c’est possible. (Rires)
Que représentent pour vous les réseaux sociaux ?
Le diable, le mal, les fausses relations. Je prends cet exemple : on peut passer des vacances de merde sous la pluie dans je sais quel pays du monde et puis poster la seule journée ensoleillée avec son petit cocktail et se dire : je suis heureux avec ma copine. Ça crée de l’envie, ça crée du flicage permanent et ça crée des gens qui échangent sans vraiment échanger. C’est même allégorique. Tout est fait pour présenter des pages que tu vas cautionner, et donc des idées que tu vas cautionner : c’est un abrutissement de masse. Il y a aussi quelques points positifs. Mais dans l’ensemble, ça me désole un peu tous ces gens seuls derrière leur l’ordinateur, alors qu’ils pourraient se voir en vrai et se parler en vrai.
Aujourd’hui les gens se rencontrent à travers des sites de rencontre : qu’en pensez-vous ?
Je suis heureux pour les gens s’ils trouvent l’amour par ce biais. Si on peut ne pas être seul, pourquoi pas. Mais ce n’est pas ma vision des choses, parce que je suis un grand romantique dans l’âme ; pas romantique dans le sens amoureux, mais plutôt dans le sens poète du XIXème : je veux dire les passions, les choses qui se fondent naturellement.
Quel a été votre ressenti la première fois que vous êtes monté sur une scène ?
C’était un réel plaisir, moins de stress de ce que je pensais.
Quel est le rôle de la musique dans votre vie ?
C’est vraiment lié encore une fois à la poésie et à l’écriture, parce que j’écoute beaucoup de rap quand je suis tout seul. Ça m’inspire, ça m’apaise ou ça me met en colère. Le rap a toujours été un fourniment d’émotion, ça me bouleverse ; c’est plutôt à ça que ça sert. Maintenant j’essaie d’écouter de plus en plus autre chose. Ensuite, c’est vrai que c’est un peu éprouvant émotionnellement au bout d’un moment. Je commence à écouter plus de classique. Trop de rap, ça peut parfois te rendre un peu déprimé, surtout quand c’est du rap social avec un vrai message.
Qu’avez-vous fait avec votre premier salaire ?
Je n’ai jamais été quelqu’un de très dépensier. À chaque fois que je suis devant la boutique, je me pose la question suivante : est-ce que ça va vraiment me servir ? Je réfléchis deux secondes et je me dis qu’en fait non. Avec cette logique, tu te rends compte que t’as besoin de rien et tu finis avec des jeans troués.
Quel ressenti avez-vous eu la première fois que vous êtes tombé amoureux ?
Je me suis senti dépossédé de moi-même, j’étais fou pour elle, j’aurais fait n’importe quoi pour elle. Ce sentiment, il faut le ressentir une fois dans sa vie, ce cœur qui accélère sans aucune raison pour la fille ou la femme ; et en même temps c’est très dangereux parce que c’est incontrôlable, c’est un mélange de sentiment comme un bon moment de bonheur, de joie et en même temps, un moment terriblement angoissant.
Pour vous, quel est le secret de la longévité en couple ?
Continuer à avoir des attentions pour l’autre, ne jamais rien considérer comme acquis, devoir toujours se séduire. Il ne faut pas que ce soit un effort, il faut que ce soit naturel et continuer à se dire je t’aime et avoir des attentions l’un vers l’autre.
Qui est Robin aujourd’hui ?
Un garçon avec plein d’envies, avec une tête un peu abîmée. Un garçon avec ses envies, ses addictions et qui essaie de bien finir l’histoire.
Quel est le pays ou le continent qui vous ressemble plus ?
J’aime bien l’Afrique, même si je n’y suis jamais allé. J’imagine la vie en Afrique, malgré toute la misère qu’il peut avoir là-bas, avec les gens qui souffrent. Il y a certaines choses qui m’attirent dans la culture africaine ; comme le fait que tu n’as pas forcément qu’un seul papa, que tu n’as pas qu’une seule maman et que toutes tes tatas sont aussi tes mamans : ça, je trouve ça beaucoup plus sain d’un point de vue psychologique. Ce sont des gens qui gardent cette joie de vivre malgré tout cette merde qui leur tombe dessus ; malgré ces gouvernements dictatoriaux qui détournent l’argent qui devrait être attribué à la population. Encore une fois, je ne connais pas, mais c’est le continent qui m’attire le plus dans le monde.
Comment vous voyez-vous d’ici 10 ans ?
J’espère me voir heureux, je vais tout faire pour l’être. J’espère que je continuerai à ne plus avoir peur, et à faire ce pour quoi je suis fait. J’espère être épanoui et faire ce que j’aime ; et en avoir fini avec quelques démons.