Sophie, 38 ans
Je travaille pour l’entreprise qui organise le recyclage des emballages et des papiers, tout ce qu’on met dans le bac jaune.
D’où vous est venue cette passion pour les emballages, les papiers et les bacs jaunes ?
Je n’ai pas de passion pour les emballages. Ce que je veux, c’est travailler pour le développement durable. Je pense que c’est le grand défi économique et social du 21ème siècle.
Comment vous est venu ce déclic pour le développement durable ?
Ce qui me motive, c’est combattre les injustices.
Quand j’ai fait mes études, j’ai beaucoup étudié la lutte des noirs américains pour abolir l’esclavage et obtenir des droits civiques aux USA.
Et plus tard j’ai voulu rétablir l’injustice contre la terre et l’environnement, c’est comme ça que je suis tombée là-dedans.
Vous êtes militante ?
Pas vraiment, je le suis dans mon quotidien auprès de mes amis et de ma famille mais je ne suis pas engagée dans un mouvement politique ou associatif.
Quel genre d’enfant était Sophie ?
Pas du tout l’adulte qu’elle est devenue aujourd’hui. (rire)
C’était une enfant timide et discrète, qui n’avait pas beaucoup de place pour elle. Ma grande sœur prenait beaucoup de place à la maison et mes parents était très occupés avec elle, alors j’ai assuré le minimum syndical pour ne pas les inquiéter plus. Je pense que j’ai affirmé ma personnalité beaucoup plus tard.
Vous voulez dire que vous avez manqué d’amour ou d’affection ?
Non parce que je ne pense pas qu’ils auraient pu donner autre chose que ce qu’ils ont donné. Ils ont fait de leur mieux. Mais oui, j’ai pris mon temps avant de me poser les bonnes questions et d’aller vers les gens qui me plaisent, ça c’est venu plus tard.
Vos profs pensaient quoi de vous ?
Ça dépend de quels profs et des matières. J’étais une élève pas très concentrée en cours, j’étais souvent dans mon monde. Je fournissais juste ce qu’il fallait pour passer d’une classe à une autre.
C’est après le bac que je me suis épanouie dans mes études . J’ai fait des études d’anglais et j’ai réussi à atteindre un bon niveau. C’était la première fois que je m’intéressais sincèrement à ce que je faisais, ce qui n’était pas le cas avant.
Vous êtes une personne créative ?
Je crois que oui, j’aime bien créer. En tout cas dans mon esprit, je crée plein de choses et maintenant que je fais un peu de théâtre et de stand up, j’écris de plus en plus.
D’où vous est venue cette passion pour l’écriture ?
Honnêtement je ne sais pas d’où ça vient, mais peut être de mon enfance. Quand j’étais petite et que je m’exprimais vraiment, ma mère disait toujours « Quelle comédienne ! Quelle comédienne ! ». Ça a dû être la première graine semée dans mon esprit. Toute ma vie je pensais que ce serait bien que je fasse du théâtre et à 32 ans je me suis lancée.
Dans l’écriture ou dans le jeu ?
Non d’abord le théâtre avec des textes qui n’étaient pas les miens. Au bout de 4 ans, je me suis dit qu’il fallait que je me lance vraiment pour comprendre ce que j’avais envie de dire. Parce que je savais que j’avais envie de dire des choses, mais je ne savais pas quoi.
Comment vous reconnait-on sur scène ? Est-ce que vous avez un style particulier quand vous jouez ?
Récemment il y a un des profs de l’école de théâtre où je suis qui a décrit « mon personnage », moi j’avais du mal à mettre le doigt dessus. Il a dit : « une fille un peu paumée mais qu’il faut pas faire chier non plus ». Je pense que ça résume assez bien la situation, je suis pleine de doutes. Doutes, dans le sens où je pars du principe qu’il y a encore plein de choses que je ne comprends pas et que je préfèrerais comprendre, donc je suis très curieuse dans le bon et le mauvais sens du terme. Mais en même temps je suis très méfiante et j’aime contrôler la manière dont je me sépare de ces doutes là, je suis très autonome et très libre dans ma quête de vérité et de justice. (rire…)
Quels sont les artistes ou comédiens qui vous influencent en ce moment ?
Influencée, je ne sais pas parce que j’essaye de développer mon authenticité justement et ma singularité. Mais dans les artistes francophones j’aime beaucoup ce que fait Blanche Gradin qui a réussi à présenter ses névroses et à en faire un vrai vecteur de sympathie pour elle et de rire pour chez les autres, ce qui n’est vraiment pas évident. Elle ne parle quasiment que de ses névroses en les exacerbant, et elle a réussi à créer ce personnage qui du coup devient risible et touchant, ça j’aime beaucoup.
J’aime beaucoup les anglo- saxons, Louis CK qui est l’idole de Blanche Gradin d’ailleurs. J’aime beaucoup son style et la manière dont il parle des choses anodines de la vie. Il arrive à leur donner une intensité.
Mais je préfère Ricky Gervais, anglais d’origine canadienne. Je le trouve hilarant et j’adore son personnage. Avec lui, on ne sait pas s’il est profondément heureux et confiant en l’humanité ou si, au contraire, il est profondément dépressif et misanthrope et qu’il déteste tout le monde. Il joue souvent sur cette ambiguïté, j’aime beaucoup.
Je vous écoute mais est-ce que le théâtre ou la scène pour vous et ces comédiens que vous avez cités, c’est un lieu de thérapie ou de catharsis ?
Je fais une thérapie à côté (rires), le théâtre c’est pas uniquement ça, non. Je monte sur scène parce que, quand je suis sur scène, je ressens du bonheur dans mon corps.
Mais vous extériorisez ce qu’il y a à l’intérieur de vous ?
Oui mais vraiment c’est l’occasion pour moi de produire une énergie, que je donne aux autres et que je me donne à moi aussi et que je n’arrive pas à exprimer autrement. Quand je suis sur scène, face à l’attente de toutes ces personnes, et quand j’arrive à faire quelque chose de bien et qui leur plaît, c’est le bonheur total. C’est encore mieux que la drogue, voire mieux que le sexe ! (rire)
C’est pour cette sensation que je monte sur scène.
Vous avez grandi avec des livres ?
Non, mes parents ne sont pas des grands lecteurs. Mon père lisait des livres sur Windows et le management et ma mère n’était une grande lectrice non plus . C’est venu sur le tard et de manière autonome.
Qu’est-ce que vous motive à écrire ?
Parce que c’est trop pénible de le garder à l’intérieur de soi, donc je le fais sortir.
À quel moment êtes-vous le plus créative dans la journée ?
Je ne sais pas, généralement quand j’ai l’esprit occupé par des pensées très émouvantes, quand c’est positif ou négatif. Quand quelqu’un me plaît par exemple ou quand je suis entourée de gens qui me rendent heureuse ou au contraire quand je suis profondément triste, là j’ai besoin d’écrire, mais ça peut venir n’importe quand, le matin, l’après-midi.
Est-ce que vous vous considérez comme une artiste ?
Oui.
Quel est le rôle de l’artiste dans la société pour vous ?
Je pense que je ne me revendiquerais pas artiste auprès des gens qui ne me connaissent pas du tout. Mais l’art et la créativité font partie de ma vie, parce que je n’ai pas de croyance religieuse mais je crois en l’art pour manifester la magie de la vie et le rôle de l’artiste c’est d’être attentif à la magie qui lui parle, de la réceptionner et de lui permettre de se manifester.
C’est un devoir personnel envers les autres qui ne sont pas artistes mais qui ont besoin de cette magie dans leur vie aussi.
Quel est le rôle du théâtre dans votre vie ?
C’est le vecteur à travers lequel j’arrive à m’exprimer encore plus qu’au quotidien. Je m’éclate. Ça m’amuse, ça me fait me sentir vivante.
Vous travaillez dans le développement durable, quel est votre premier geste écologique ? Est-ce que vous vous sentez vraiment concernée ?
Je me sens grandement concernée, j’ai appris à prendre du recul sur le sujet. C’est un sujet collectif mais qui nécessite de faire des actions individuelles qui doivent être démultipliées et collectivement adoptées. Je vivais tout de manière très personnelle, ça me rendait limite asociale et je jugeais beaucoup quand quelqu’un autour de moi faisait une action qui n’était pas écologique. Maintenant j’ai pris du recul mais ça m’occupe toujours au quotidien et dans mon travail.
Je pense qu’aujourd’hui j’ai adopté un mode vie écolo mais qui est encore trop générateur d’impact. J’essaie en tant que parisienne mais c’est quand même compliqué quand on est à Paris de vivre de manière la plus frugale possible.
Comment participez-vous à ce développement ?
Je participe mon échelle, dès que je sens que les gens sont réceptifs j’essaie de les embarquer dans ma manière de voir les choses. Sinon concrètement dans ma manière de m’alimenter et de consommer les choses, les voyages, les vêtements, les loisirs. J’essaye de réfléchir avant d’acheter, d’où ça vient, dans quelles circonstances ça a été produit et est-ce que j’en ai vraiment besoin. Une fois que j’ai répondu à toutes ces questions, j’essaye de choisir les produits les plus vertueux.
Quel est le premier geste écolo que vous faites quand vous rentrez chez vous ?
Je cuisine uniquement des légumes de saison et bio que j’ai achetés le dimanche chez le primeur ; je ne mange que des produits que je transforme moi-même et qui ne demandent pas beaucoup d’énergie ou de ressource pour atterrir dans mon ventre.
Je pense que c’est ça ma première action écologique.
Vous êtes végétarienne ?
Non je ne suis pas végétarienne, parce que j’adore la viande et pourrais difficilement m’en passer. Surtout que dans la nourriture asiatique, il y a énormément de bœuf et de porc. Je pense que je ne pourrais pas imaginer une vie sans pho et sans porc au caramel mais je suis une flexitarienne, ça veut dire dès que j’ai le choix ou dès que j’en ai envie je choisis l’alternative végétarienne.
Chez moi je ne mange jamais de viande et quand je mange dehors, je pense que c’est une fois sur deux que je mange la viande.
Que veut dire le mot liberté pour vous ?
C’est d’avoir en permanence le choix et la possibilité de me réinventer et de réinventer la façon dont les gens me perçoivent.
Vous êtes libre en ce moment ?
Je suis toujours libre (rires). Je fuis les gens qui m’empêchent de me sentir libre.
Que représentent pour vous les réseaux sociaux ? Est-ce que vous vous sentez dépassée par ces nouvelles technologies ?
À titre personnel non, mais je pense que notre société oui. Je pense qu’individuellement, on ne se rend pas compte du mal que certaines pratiques nous font collectivement. A mon avis, il y a beaucoup de personnes qui voient le monde à travers les réseaux sociaux. Sauf que sur les réseaux sociaux, cohabitent des articles de fond qui ont été écrits par des journalistes, c’est-à-dire des personnes qui savent investiguer et savent faire la part des choses entre l’émotion et les faits, les vérités. Et d’autres contenus produits par des personnes qui se prononcent sur tout et n’importe quoi. Chaque personne devient un émetteur de message et pour moi c’est un peu la limite de la démocratie.
Je ne suis pas contre que chacun ait une opinion, le problème c’est que les réseaux sociaux ne nous permettent pas de faire le tri, de hiérarchiser les informations et ça me fait peur parce que je pense que beaucoup de gens ne font pas l’effort intellectuel de trier justement.
Que pensez-vous de tous ces sites de rencontre ?
Je pense que c’est très bien que ça existe, ça répond à un vrai besoin. Il y a toujours eu des occasions pour se sociabiliser, pour rencontrer des partenaires. Il y a avait l’église pendant longtemps ensuite les bals populaires, pour une partie de la population il y avait aussi les écoles privées, ou les rallyes. Aujourd’hui il y a de moins en moins de communautés qui existent… sauf sur Internet. Donc c’est une manière très efficace de rencontrer des personnes que l’on ne croise pas au quotidien. Par contre mon expérience et mon avis, basés sur une expérience assez courte, c’est que les réseaux et les applications de rencontre ne font qu’augmenter les choix en nombre, mais c’est exactement ce qu’on ferait dans la vraie vie. On ne rencontre pas des gens si différents, on choisit les mêmes personnes sur les applications que celles que l’on choisirait dans la vraie vie dans une soirée ou dans un bar.
Si mon instinct est d’aller vers des personnes qu’il faut sauver, alors c’est exactement vers ce genre de personnes que je vais aller sur les réseaux sociaux.
Qui est là pour vous éponger ?
Beaucoup moi, c’est pour ça que je veux rester libre pour être forte et pouvoir le faire.
Ça demande beaucoup de force d’être son propre héro.
Ça ne vous fait pas peur de vivre seul e ?
Non. C’est la perspective d’être seule longtemps et dans les moments difficiles qui est dure, quand on a une maladie, quand on vieillit, ou on perd son boulot, ou un parent. Donc forcément on se dit : j’espère que je ne serai pas seule toute ma vie. Mais ma vie actuelle me rend heureuse, il ne me manque pas quelqu’un au quotidien pour me sentir heureuse.
Vous n’avez pas peur de tomber en dépression ?
Je suis célibataire, je ne suis pas seule : j’ai des amis, je suis bien entourée. J’ai construit des amitiés qui me permettent d’avoir des soutiens.
Quel est la première qui vous a marquée ?
La première fois que j’ai chanté dans une chorale.
J’ai vécu un an aux USA et c’est là-bas que j’ai réalisé un de mes rêves en m’inscrivant dans une chorale gospel de l’université où j’étais. Parce que c’est une musique qui me rend heureuse. On a fait une tournée à Washington, on a joué dans des écoles, des maisons de retraites, c’était pas très glamour mais à chaque fois que j’étais sur scène et qu’on chantait tous ensemble, je ressentais du bonheur. J’adore chanter mais seule je chante faux, il faut que j’entende les voix autour de moi pour me caler sur elles.
C’était aussi hallucinant qu’un saut en parachute. C’était physique.
Quel a été votre ressenti la première fois que vous avez habité seule ?
C’est pas très drôle en fait. Mes parents se sont séparés quand j’ai passé mon bac, ma sœur habitait déjà avec son copain. Ma mère est partie et quelques semaines plus tard mon père a trouvé une amie avec qui il est parti aussi (même s’il n’est plus avec cette personne aujourd’hui). Du coup, je me suis retrouvée toute seule dans la maison familiale. La j’étais très, très seule et j’ai vraiment déprimé.
C’était la solitude dure. Je ne l’avais pas choisi, on me l’a imposée de force et je l’ai subie.
Sinon celle que vous avez choisie ?
C’était un sentiment d’indépendance énergisant. J’ai déménagé dans mon studio où je suis restée 14 ans. Il était génial ce studio. Je me souviens la toute première nuit : je me suis mise dans mon lit, il y avait des cartons partout et je me suis dit ça y est, la vraie vie commence.
Qu’avez-vous fait avec votre premier salaire ?
Aucune idée. J’ai toujours travaillé, je pense que mon premier salaire a servi à me payer mon premier voyage, avec une amie pendant un mois dans les Cyclades, des îles grecques.
Quel est le rôle de la musique dans votre vie ?
La musique me tient compagnie les moments où je suis seule. La musique est mon amie et ça me donne envie de danser en permanence.
Quel sont vos objectifs à court terme ?
Continuer à écrire des sketchs et trouver un format qui me convient, parce que répéter souvent les mêmes sketchs… ça m’excite pas beaucoup. Donc j’aimerais trouver la suite. Ça fait deux ans que je fais ça, il faut que je trouve mon prochain chapitre artistique.
Quel ressenti vous avez eu la première fois que vous êtes tombée amoureuse ?
Ça me réveille et ça me fait peur. Littéralement, ça me maintient éveillée et je dors un tiers de moins que d’habitude, ça me donne de l’énergie.
C’est comme le trac avant de monter sur scène, c’est agréable et désagréable en même temps. Ça fait peur parce que c’est un moment où tu ne sais pas encore si c’est réciproque.
Et le secret de la longévité du couple, pour vous c’est quoi ?
Je ne sais pas et je n’en ai pas la moindre idée (rires). Je pense que les gens se trompent en pensant qu’ils peuvent pendre un modèle de couple « sur étagère » et se dire : on va faire un couple comme ça.
Pour moi la longévité du couple c’est accepter qu’il faut tout le temps réinventer la poudre, c’est deux personnes qui sont en train d’évoluer et du coup il faut tout le temps trouver une nouvelle manière d’être à deux en composant avec les évolutions individuelles.
Que pensez-vous des musées ?
Je ne vais pas très souvent au musée. C’est un des rares endroits où on se rend compte qu’il y a plein de gens qui ont créé des choses extraordinaires et ça remet pas mal nos vies en perspective. J’aime bien parce qu’en général ça me calme. Moi, je suis rassurée par l’art et la beauté. Ça donne une nouvelle perspective aux choses. Quand on est malheureux, c’est qu’on tourne en rond sur une idée ou un événement et les musées sont des lieux où on a rassemblé des choses qui nous dépassent et nous font relativiser.
Quels sont vos projets sur le long terme ?
Ne jamais tomber dans l’ennui.
Qui est Sophie aujourd’hui ?
Une fille un peu paumée qu’il ne faut pas faire chier.
Elle se rend compte qu’elle est capable de faire plus de choses que ce qu’elle pensait, alors elle essaie beaucoup de choses.