KUMBU-KI-LUETE Thamba Manassé Israëlle, 33 ans
Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?
Je suis artiste, politicienne et créatrice.
Nous pourrons parler de musique ou plutôt de politique ?
Au choix, selon vous.
Vous n’avez pas peur de parler de politique, mais est-ce que cela ne vous posera pas de problème dans votre pays ?
Je suis présidente nationale de l’ALLIANCE NATIONALE DES DEMOCRATES POUR LA RECONSTRUCTION. Il s’agit du deuxième parti historique de l’opposition en RDC, après l’UDPS.
Comment vous voyez-vous aujourd’hui ?
A ma place ! Chez moi dans mon pays. En tout cas celui de mes deux parents.
En France , nous sommes réfugiés politique…
En pleine renaissance ?
Oui, et cette renaissance est bien faite ; j’ai vécu une certaine vie quand j’étais à Paris et je dois dire qu’aujourd’hui je suis en phase avec mon destin en Afrique.
Pourquoi avoir quitté Paris après y avoir vécu tant d’années ?
Je me suis rappelée que nous avons un parcours familial, une histoire et qu’à la base, Paris n’était pas un endroit où on était censé vivre aussi longtemps. Je suis née en Suisse et avec mes parents nous avons quitté la Suisse pour aller à Paris ; ça devait être une transition, qui s’est finalement éternisée. A l’époque mes parents étaient diplomates en Suisse, ambassadeurs précisément. Quand ils sont entrés en politique en opposition à Mobutu, c’est devenu compliqué pour nous de rester en Suisse. Ma mère n’a pas voulu rentrer au pays, donc nous sommes partis en France. J’ai d’abord été en Bretagne, puis en 2006, quand j’ai gagné un concours de beauté à Paris, j’ai décidé de m’y installer. Mais je me suis vite rendu compte qu’il fallait que je rentre. Normalement quand la mission d’un diplomate se termine, il rentre dans son pays. J’ai décidé de rentrer au Congo.
Mais vous n’étiez pas diplomate, c’était vos parents ?
Jusqu’au décès de mon père en 2007, j’avais toujours mon passeport diplomatique. Je suis quelqu’un avec des principes.
Je suis partie une première fois en Afrique pour enterrer mon père en 2007. Entre temps, beaucoup de choses se sont passées, il y a eu un temps de maturation, et j’ai décidé de revenir en Afrique en 2014 pour seulement deux mois. Puis quand je suis revenue en 2015, je ne suis plus retournée en Europe.
Pourquoi, vous êtes-vous sentie chez vous ? Qu’est ce qui vous a attiré là-bas alors que vous n’y avez pas grandi, que vous ne connaissiez pas le pays ?
En Suisse nous sommes diplomates , mes parents ambassadeurs. En France , nous sommes réfugiés politique. La source me fait alors naître de nouveau pour repartir à zéro en fonction de ma base primordiale.
J’essayais de sauver ce patrimoine de la musique congolaise qui est en déclin…
La transition entre l’Europe et l’Afrique, ça a été compliqué ?
Evidemment, ils y a des gens qui n’auraient pas tenu. Dire que ça n’a pas été compliqué serait mentir. Maintenant, ça dépend de la manière dont on embrasse les événements qui se présentent à nous, ça dépend de son mental. J’ai un mental assez fort et suis quelqu’un qui n’a pas peur des crises, qui n’a pas peur des difficultés, je sais les surmonter et/ou les contourner. Au départ c’est comme un jeu d’échecs. La première année j’ai déménagé 7 fois de suite, le temps de pouvoir trouver un endroit où je me sente vraiment chez moi. Trouver un confort ici n’est pas évident. J’aurais pu rester en famille, mais en tant qu’entrepreneur, j’ai fait le choix de parcourir la ville, d’apprendre à la connaître.
Vous étiez égérie de beauté pour Boucle D’ébène 2007 à Paris, vous sentez-vous à votre place aujourd’hui ?
Je commence à faire des photos à Paris. Mais je monte sur scène depuis l’âge de 12 ans à Rennes en tant que danseuse et j’ai fait un peu d’audiovisuel et de théâtre à l’école. Puis j’ai été chanteuse à Paris. J’ai été boostée en énergie après avoir fini numéro 1 d’un concours de beauté. Quand j’ai décidé de faire de la Rumba c’était par stratégie : je suis a l’aise aussi bien en Jazz qu’en Rumba, mais je me dis que la Rumba me ramènerai dans mon pays. C’est une volonté enfouie depuis longtemps, et quand ça se fait, c’est presque naturel. Je suis quelqu’un qui évolue par ruptures et par étapes. J’ai choisi cette nouvelle étape avant de me lancer comme chanteuse solo ; le titre s’appelle « Rupture »… On crée toujours en phase avec ses idées, même si ça bouge, même si c’est une aventure, ça fonctionne. La promotion de cette culture m’a permise de retrouver mon ancrage.
Où peut-on écouter vos musiques ?
Il est aisé de faire des recherches sur le net. Qui cherche trouve dit-on.
Quel a été le premier album que vous avez acheté ?
Richard Bona, mais je ne me rappelle plus du titre de l’album.
En arrivant en Afrique, avez-vous rejoint une association pour aider les enfants malades ou orphelins, ou autres ?
Quand j’arrive dans mon pays en tant qu’artiste, je veux comprendre d’abord comment s’organisent la culture et les arts. Donc plutôt que de monter sur scène dans des conditions approximatives, en me fiant aux normes européennes que je connais, je préfère d’abord comprendre les mécanismes locaux. J’assiste à des conférences qui me permettent de comprendre la politique du secteur de la culture et des arts au Congo.
On me convie à des conférences en tant que manager de Papy Tex de l’empire Makuba. J’ai toujours été entourée des papas pour les aider. Ça fait longtemps je fais ça, mais ce n’est pas du bénévolat. J’essayais de sauver ce patrimoine de la musique congolaise qui est en déclin. Ils étaient de grandes stars qui ont gagné des trophées, mais dès qu’ils se sont retrouvés à Paris, les choses ont changés. C’est ici au Congo que je suis venue connaître la source du problème.
Quand tu n’es pas marié tu n’es pas complet dans la culture africaine…
Je constate que vous aidez beaucoup de monde autour de vous, qui vous aide, vous ? Et comment faites-vous pour surmonter les obstacles ?
Il est temps que l’homme noir francophone sorte de l’exploitation comme système économique. J’ai passé beaucoup plus de temps seul, mais l’univers , selon son plan, t’envoie les bonnes personnes. il faut se battre pour tout et je salue Mme la Ministre de l’éducation provinciale, Mme Therese Olenga pour tout ses encouragements. La solidarité, la sororité sont là au programme de notre mouvement féministe.
Et votre carrière dans tout ça ?
A vrai dire je suis multifacette. La musique n’a jamais été une fin en soi. J’ai mon cerveau.
Quel sont vos engagements politiques au Congo ?
J’ai accepté de reprendre le flambeau du combat politique du couple formé par mes parents. A travers l’ANADER. Notre devise : Justice-Patrie-Travail .
Remettre l’Homme au cœur des préoccupations. Son respect, sa dignité, sa valeur d’Homme africains. Conscientiser autant que possible sur l’Homme est la richesse quand il travaille dans le respect de ses droits.
Quel est votre grand combat en politique ?
J’ai fondé l’école internationale panafricaine KUMBU-KI-LUTETE, EPK en sigle. Car tout ce qui me tient à cœur c’est l’éducation au Congo. C’est mon cheval de bataille. Elle est en passe d’être reconnue par l’Unesco selon notre orientation concernant les sciences, la communication, la culture et les arts.
Sinon la reconstruction, les alliances, la démocratie, l’identité nationale… Porter une critique constructive, donner son opinion et défendre des causes qui nous unissent. Et cela est toujours d’actualité, cela fait 28 ans que nous sommes au service du peuple.
Qui est Manassé Israëlle aujourd’hui ?
Une femme d’Etat. Une femme politique. Un savant en politique.
Que veut dire le mot liberté pour vous?
Faire ce qu’on a dans le ventre, dans le cœur et dans la tête.
Que représentent pour vous les réseaux sociaux ?
C’est la force de la communication rapide. Garder des liens même distendus mais qui ne se cassent pas.
L’amour qui dure c’est aussi parfois celui où l’un des deux fait l’aveugle pour que ça dure, et le rôle de l’aveugle est souvent porté par la femme…
Quelle émotion vous avez ressenti lorsque vous êtes arrivée au Congo?
Je ne laisse pas beaucoup de place aux émotions quand c’est logique. Mais j’étais contente.
Est-ce que Manassé fait peur aux hommes ?
(Rires) Oh oui, je pense que je fais peur aux hommes ! D’ailleurs ça me fait rire…
Les apparences sont une chose à gérer.
Les mariages au Congo ça dure longtemps ?
Oui ça dure, le mariage, c’est une valeur absolue ici. Les femmes sont davantage respectées, et l’homme est aussi considéré comme un homme quand il s’est marié. Quand tu n’es pas marié tu n’es pas complet dans la culture africaine.
Mais j’ai vu beaucoup de femmes souffrir en silence ; le mariage va avec la souffrance, mais on ne raconte pas aux gens cette vérité. J’aime discuter avec les mamies, les papys, les mamans, pour connaître leur ressenti. Je constate que c’est seulement après avoir vécu que l’on dit la vérité. Pendant, on endure.
Quand tu es une femme forte, que tu as l’impression que tu te sécurises toi-même, le mariage fini par être vu différemment. Nous vivons dans un monde d’une grande hypocrisie, où le droit reconnaît la monogamie mais où les gens passent leur temps à être polygames. Je trouve ça drôle, mais je ne me reconnais pas dans tout ça.
Je me bat aujourd’hui pour que les femmes se fassent davantage confiance. La valeur du mariage n’est pas à débattre mais les femmes doivent également se lever et faire échec à cette phrase qui dit ; « mwasi atongaka mboka te » traduction : “une femme ne construit pas un pays”.
Quel est le secret de la longévité du couple?
Le dialogue et le respect. Quand un couple a commencé par l’amitié, il n’y a rien qui va empêcher que ça dure. Quand on se rappelle que l’autre n’est pas une possession et qu’il a aussi des droits individuels, ça devient plus facile. Je crois.
C’est incroyable et totalement irrespectueux de mettre des enfants dehors parce que les parents n’ont pas fini de payer les frais par exemple…
Pensez-vous que tout est bon à dire dans le couple ?
Je pense que tout n’est pas bon à dire, mais il ne faut pas prendre l’autre pour un idiot. Quand tu partage une intimité dans une relation, même sexuelle, il y a des informations que tu donnes et que tu partages sans le savoir. Donc autant parler une fois pour toute pour éviter les problèmes. L’amour qui dure c’est aussi parfois celui où l’un des deux fait l’aveugle pour que ça dure, et le rôle de l’aveugle est souvent porté par la femme.
Quelle est la liberté d’un artiste ?
C’est de construire son œuvre et de réaliser sa pensée de A à Z. Il est vrai que dès lors que l’argent se met dans la production, la liberté créatrice est mise en péril. Ca reste un combat finalement.
Quelle est le rôle un artiste de la société d’aujourd’hui ?
Un artiste, c’est celui qui révèle les choses cachées. Les artistes sont des gens qui se mettent dans des situations d’insécurité et d’inconfort pour pouvoir révéler leur nature profonde aux autres.
Vous avez beaucoup de projet en action : vous êtes une artiste, une femme engagée en politique, une super maman, et vous venez d’ouvrir une école. Comment faites-vous pour gérer tout ça en même temps ?
Les gens qui ne savent faire qu’une seule chose à la fois, moi ils m’étonnent, je ne sais pas comment ils font ! Je suis passée d’artiste à savant, en me révélant à moi-même déjà. Et m’engager en politique, c’est faire profiter au monde ce que j’ai découvert dans mes recherches pour améliorer les conditions de la vie humaine. Les enfants font partie de l’expérimentation. Donc tout se tient.
Vous venez d’ouvrir une école, c’est une école privée ou publique ?
C’est une école privée. J’ai été confrontée au système éducatif depuis que mes enfants sont nés. Pour moi aussi c’était la même chose quand j’étais enfant, je n’étais pas adaptée au système, parce que j’avais une pensée rapide et profonde. J’essaie de donner ma réponse aux différents problèmes d’éducation que j’ai rencontrés. Notre école est ouverte à la différence. On fait de ce qui peut paraître une faiblesse, une force avec excellence. On espère. En favorisant l’émancipation par la défense de son identité, jusqu’à son opinion.
En claire, la construction de la pensée.
Pourquoi vous n’avait pas fait une école mixte , mêler les classes sociales riches et pauvres ensemble aux lieu de faire une école privée ?
Privée ne veut pas dire que c’est cher. Ca veut dire, on se donne le droit à une éducation alternative. Toutes les écoles sont payantes au Congo. A l’ANADER, en tant que politique justement, nous militons pour une éducation primaire gratuite. C’est incroyable et totalement irrespectueux de mettre des enfants dehors parce que les parents n’ont pas fini de payer les frais par exemple. Parfois je me demande comment on peut se regarder dans la glace en faisant des choses pareilles. Quand on sait que l’éducation est la base de toute construction. J’invite vraiment les pouvoirs publics à revoir leur position afin de donner les chances à notre nation de ne pas passer à côté de son destin de manière quasi systématique.
Comment vous voyez-vous dans 10 ans ?
Avec de Hautes responsabilités. Toujours.