Constance 33 ans chanteuse sénégalo-capverdienne
D’où vous vient cette passion pour la musique ?
J’ai grandi dans une maison où il y avait toujours de la musique, avec une mère fêtarde et un père mélomane donc forcémment, il y a des restes. On nourrit tous une grande passion pour la musique, j’ai également un frère qui est danseur aujourd’hui. Petite, j’ai écouté beaucoup de variétés françaises et de pop avec une préférence pour ABBA dont j’étais fan ou encore Sade, Anita Baker, the police etc…
A quel âge avez-vous écrit, chanté et enregistré votre premier single?
Ma toute première fois au studio a été à 8 ans: j’avais chanté une reprise, après avoir harcelée un ami de la famille qui était dans le milieu de la musique. Autrement adolescente, je griffonnais dans mes cahiers de cours au fond de la classe ou très tard le soir dans la salle de bain où je murmurais pour ne pas me faire entendre alors que tout le monde dormais déjà. Je me souviens que je m’étais même procuré un magnétophone pour pouvoir enregistrer les mélodies que je ne voulais surtout pas oublier…
Officiellement, le premier single commercialisé a été enregistré quand j’avais 15 ans.
Vous jouez aussi d’un instrument ?
Je suis une autodidacte de la musique. Le seul instrument est donc ma voix étant donné que je n’ai jamais été patiente pour savoir jouer d’un quelconque instrument et pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé pour mes parents qui ont fait l’effort de me procurer une flûte par ci, un synthétiseur par là, et même une guitare mais rien n’y faisait, c’était juste impossible. Jusqu’aujourd’hui, je compose avec ma voix et j’arrive à me faire parfaitement comprendre et donner la direction que je veux quand je travaille avec des musiciens.
Est-ce que Constance est une chanteuse de kizomba ou de zouk love?
Je suis complètement larguée à dire vrai. Aujourd’hui je n’écoute plus rien dans ce domaine-là. Bien sûr, il pourrait arriver que j’écoute, si ça venait à tomber dans mes oreilles, un bon zouk, mais il faudrait que ce soit vraiment un bon morceau et je pense que j’ai eu à prendre tout ce qu’il me fallait dans ce registre musical pour pouvoir enfin prétendre à élargir mes horizons.
On m’a connu dans le zouk, mais l’ironie est que ce n’est pas le genre de musique que j’écoute chez moi. Cependant, c’est un très bon tremplin, parce que c’est l’un des domaines musicaux où il est le plus facile de réussir. Et puis, pourquoi forcèmment vouloir me cataloguer? On aura du mal de toute façon.
Après le départ de Cesaria Evora, la porte s’est-elle ouverte pour vous ?
Ça y a contribué, c’est sûr mais je ne pense pas que ça ait suffit car il y a toujours plein d’autres paramètres qui rentrent en jeu dans la vie d’un artiste. Et puis, il est parfois difficile de passer derrière une artiste comme Césaria et qui a autant marqué les mémoires. Pour ça, il faudrait une plus value, ce qui va faire la différence. Mais on peut lui reconnaître qu’elle a su amener la musique cap-verdienne au devant de la scène internationale.
Mais ça fonctionnait avec Cesaria Evora, c’était tendre et doux à la fois…
Certainement, mais je suis quand même mitigée. Ce qui fonctionne avec l’un peut ne pas fonctionner avec l’autre. Chaque artiste a son propre rapport avec la musique et donc forcément je la vois, l’écoute et l’appréhende de manière très différente aujourd’hui. Il faut oser dépoussiérer tout ça de temps en temps et ramener du sang neuf. J’ai toutes sortes de musiques qui trainent dans mes oreilles donc je m’ouvre à beaucoup plus de choses chaque fois un peu plus. Je pars du principe qu’il faut évoluer, apprendre de chaque époque. J’aurai pu me cantonner à du Césaria car j’ai été éduquée et bercée avec ; ma mère n’écoutait que ça. Mais à un moment donné, il fallait bien écouter autre chose. Pour un artiste, il faut être curieux, limite « boulimique » et à la recherche sans cesse de nouvelles sonorités. C’est primordial.
Tu voudrais te lancer dans le style de musique RnB à l’américaine?
Non pas du tout, et pourquoi d’ailleurs? Mon style de musique est difficile à qualifier.
La personne, avec qui je travaille actuellement, est jamaïcaine et souhaitait faire de l’Afrobeat sur un morceau. Rires… Mais il se trouve que ça a donné tout autre chose. Tout simplement parce que c’est tout de même difficile de faire un style de musique sans en avoir les codes ou parce qu’on la lit différemment des autres. Et c’est ce que je trouve intéressant.
C’est la musique du monde ?
Peut être on pourrait la qualifier ainsi. Un mélange de plusieurs genres avec une forte consonance africaine.
On me pose régulièrement la question : j’ai envie de dire que ce n’est ni de la Soul, ni du RNB, ni du zouk mais c’est un mélange de diverses influences. J’ai une musique très métissée de par ce que j’écoute et mes origines.
On a beaucoup de mal à me situer et j’en suis consciente mais c’est un partie pris mûrement réfléchi.
J’ai un rapport particulier avec la musique ; surtout aujourd’hui que je n’ai plus les mêmes aspirations.
Pourquoi plus les mêmes aspirations ?
Ce doit être à cause des rencontres, des expériences, et de la réalité de la vie. Tout ça mis dans une boîte donne quelque chose de différent. Ça mature. Et puis, je ne serai jamais celle qui va aligner des albums comme dans une chaîne industrielle alimentaire . Je ne fonctionne pas de cette manière. Ma sensibilité ne marche pas avec tout ceci. Je chante depuis mon plus jeune âge et je n’ai jamais sorti d’album. Et puis ça coûte cher, ça coûte de l’énergie, ça coûte du temps et dans le pire des cas, des relations.
Ça te coûte ta propre personne, ta propre vie, car tu l’hypothèques en quelle sorte, en ne sachant même pas si cet album marchera. En attendant on fera des EP, plus économiques et plus rapides. Au pire des singles, rire…
Ce n’est pas ça la vie ?
Non non non… parce que c’est très cher payé; parce que, pendant que d’autres font leur vie, des enfants, se marient, ont des projets solides ; toi, tu mets tout ton argent et ton temps dans la musique. Et même si c’est un projet de vie ; c’est quand même un projet qui peut coûter dans tous les domaines, et avec des sacrifices lourds de conséquences. Et ceux qui ne partagent pas ce quotidien, ne peuvent pas le savoir et le comprendre.
Tous les métiers artistiques, sont de nature jalouse car ils sont difficiles à combiner à autre chose. Déjà, il faudrait que tu trouves quelqu’un qui puisse comprendre le métier que tu fais. Si tu trouves cette personne, il faudrait qu’elle comprenne que ton rythme de vie sera différent du sien, et il faudrait aussi que cette personne comprenne les sacrifices que ça va coûter. Et ce n’est pas évident pour tout le monde.
Vous ne faites pas parler de vous sur les réseaux mais les gens vous suivent. Comment faites-vous ?
Je me montre très peu sur les réseaux, parce que c’est un job à part entière et que je n’ai rien contre à être discrète. On retrouve néanmoins sur YouTube mon dernier clip « I’LL BE YOURS »., dont je n’ai d’ailleurs pas vraiment fait la promotion. Ça prouve à quel point je suis loin de toutes ces choses, rires. Après comment je fais? ils doivent certainement tomber par hasard sur ma page, lol. Pur hasard. En fait, il faut être connecté à tout moment et être très disponible, ce que je ne suis pas.
Quels sont vos objectifs à court terme ?
Pourquoi pas un EP ? J’essaie de remplir ma vie le plus possible par plein d’autres choses. Je suis passionnée de pâtisserie, mais je sais que la musique sera toujours là, parce que c’est par ce biais que tout s’équilibre et reprend sa place.
Dans tout ce que je fais, chaque fois que je ne vais pas bien et que j’ai quelque chose à dire, je le fais toujours en musique. Donc même si je m’absente un moment, je reviens toujours.
Quel est le premier album que vous avez acheté?
Si ma mémoire est bonne, ça devait être soit du Sade ou du Céline Dion, un truc comme ça. Oh ça remonte loin tout ça.
Quel est votre album préféré?
Café Atlantico de Cesaria Evora, c’est un chef-d’œuvre musicalement, bref une merveille.
Constance, est-ce que vous vous aimez ?
Aujourd’hui je m’aime. Avant, j’avais beaucoup de mal à aimer ma personne, ma voix ; aujourd’hui je m’assume complètement.
Quelles sont les pièges à éviter dans le milieu de la musique quand nous sommes des débutants ?
Il faut arrêter de croire aux gens, [rire] ce sont des bonimenteurs, des vendeurs de rêves. On ne peut pas les empêcher de nous promettre monts et merveilles mais il ne tient qu’à nous de les croire ou pas. Et travailler, avec acharnement même quand tout est contre nous.
C’est bien de rêver parfois non ?
Alors, pas du tout, tu peux rêver sur ta feuille, ou bien tu peux rêver devant ton micro, tu as le droit de te mettre dans ta bulle, quand tu chantes ou quand tu écris quelque chose. Mais une fois que l’heure des choses sérieuses arrivent, alors là, il faut que tous les radars soient en éveil et se retrousser les manches. Il ne faut pas attendre que les autres fassent le travail pour toi; en général ils parlent beaucoup et ne le font jamais. Mettre en sommeil son égo est primordial. Et aussi, il ne faut pas avoir peur des échecs même répétés car ce n’est pas se faire humilier que d’échouer, c’est juste apprendre de ça et rectifier le tir à chaque prochaine fois. Il faut être têtu.
Qu’est-ce que vous apporte le plus de joie ?
Tellement de choses me procurent de la joie, même les choses les plus insignifiantes comme le café du matin pris à ma fenêtre ou quand je m’émerveille devant une scène de vie. Concernant ma musique, j’aime le retour de ceux qui l’écoutent. Je me souviens que j’ai eu des messages de partout dans le monde, lors de mon premier single (« Je pense à toi »). C’était une palette d’émotions. Et ça, ça vaut de l’or.
Est-ce que tu te sens investie d’une mission ?
Franchement ? Je cherche toujours pourquoi je suis sur terre, c’est ce qui fait que je suis très souvent seule, parce que j’ai besoin de ces moments de spiritualité.
Je me dis ok le bon dieu m’a donné une voix et l’opportunité de chanter. Ok, mais c’est quoi la finalité ? Je me questionne toujours. rire.
Qu’est-ce qui te fait réagir?
Je me rends compte que toutes les fois où j’ai eu à mettre un pied devant l’autre, c’est lorsque quelqu’un m’a très fortement heurtée ; et à chaque fois c’est un de mes plus gros moteurs. Je suis vindicative, mais uniquement en travaillant avec acharnement. Je ne te ferai pas de coups bas car je ne fonctionne pas comme ça ; par contre je vais te montrer, que je vais y arriver, et je vais le faire bien, c’est comme ça que je me bas. C’est l’un des meilleurs exemples que j’ai de mon père et ce qu’il m’a inculquée.
Quel est ton moteur d’inspirations ?
J’ai longtemps écrit que quand je n’allais pas bien. J’ai une plume très mélancolique. Et d’ailleurs pour sortir de ce carcan, je n’hésite pas à faire appel à d’autres auteurs. J’aime la différence, j’aime me mélanger artistiquement à d’autres gens, j’aime quand ça sonne autrement, j’aime aussi quand c’est positif et pas que triste.
Est-ce que c’est plus difficile d’être créatif aujourd’hui ?
Aucun artiste ne vous le dira, mais ça fait partie du chemin de vie d’un artiste, qui sont fait de longues périodes de traversée du désert. Le plus dur dans la carrière d’un artiste, c’est de tenir sur la durée, en étant toujours créatif ; c’est ça le plus difficile, on a tous des moment de latence. Tous.
Voilà pourquoi je dis toujours: « Quand j’ai quelque chose à dire, je le dis et quand je n’ai rien dire, je me tais ». Il y a des choses qui ne se forcent pas, surtout pas l’artistique et la sensibilité qui cohabitent intimement.
La première fois que tu as entendu ta musique à la radio ou regardé ton clip sur YouTube, qu’as-tu ressenti ?
J’étais jeune, j’avais 15-16 ans, et ça m’a fait drôle de m’entendre; je me trouvais dans un taxi et le conducteur se demandait pourquoi je rigolais.
Par contre, une autre anecdote moins drôle. j’étais à la caisse d’un magasin. La seule pensée qui m’est venue à cet instant: « mais qu’est ce que ce morceau a pu amener comme m…des dans ma vie» . Je n’avais qu’une envie, c’était de me boucher les oreilles. C’est un morceau que j’ai beaucoup de mal à écouter jusqu’aujourd’hui.
Lequel ?
« Je pense à toi », parce qu’il est rattaché à beaucoup de choses négatives, et à une grande période de souffrance. Mais, bizarrement, c’est le morceau qui a le mieux marché et qui me collera certainement à la peau pendant très longtemps. Dès que les gens parleront de Constance, ils parleront à coup sûr de ce morceau.
La première fois que tu as habité seule, quel a été ton ressenti ?
Gros blues. J’avais 19 ans, je venais de quitter le Sénégal. J’ai eu un moment de stress et de peur. Je venais de quitter mes parents et mon Afrique natale. J’étais en ce temps une très petite nature. Me retrouver à vivre seule à 19 ans à Paris, j’ai dû gérer tous mes problèmes toute seule et très vite. Et dire qu’aujourd’hui, être seule est ce dont je me délecte le plus…comme les choses peuvent changer.
Est-ce que tu te sens libre?
Je me sens libre d’aller et venir, je me sens libre de penser, je me sens libre d’agir, mais il y aura toujours une limite à toutes ces choses. On pense qu’avec le progrès on gagne en tolérance, mais c’est le contraire, on est devenu deux fois plus fermé d’esprit. Donc je ne pense pas qu’on soit si libre qu’on le croit. Les gens ont peur de tout, ils trouvent tout le monde suspect. C’est ça la liberté?
Quel est le rôle de l’artiste aujourd’hui dans notre société ?
Normalement le rôle premier d’un artiste est de véhiculer des idées ; c’est éduquer et de transmettre. Après, je ne sais pas s’ils arrivent à maintenir ce rôle parce que c’est difficile. Il faut arriver à être un modèle, une référence, et c’est très dur.
Quel est le secret de longévité en couple?
La communication, l’honnêteté, le respect et la compassion.
Faut-il tout se dire en couple ?
Non il ne faut pas forcément tout se dire dans le couple, parce que chacun a besoin de son jardin secret; toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire parfois et ceci, pour protéger l’autre.
Mais, par contre, si tu trompes l’autre, c’est parce qu’il y a un malaise. Et s’il y a un malaise, il faut en parler.
Qui est Constance aujourd’hui?
Je me sens plus sereine. Aujourd’hui j’ai les pieds bien plus ancrés sur terre. Je n’ai certes pas tout vu, mais je sais ce que j’en ai vu, ce qui m’a aidé à grandir et à appréhender les choses différemment. Pour ma musique, pas fataliste mais je dirai inébranlable. Ça marche c’est bon ; ça ne marche pas c’est pareil pour moi. J’ai enfin compris pourquoi je chante. Ce n’est pas pour épater la galerie, je n’ai rien à prouver. Je chante parce que j’ai envie de chanter et parce que j’ai des choses à dire et que ça me fait du bien. C’est une thérapie. Et, si au passage je rends des gens heureux, tant mieux j’aurai gagné. Aujourd’hui j’ai ma liberté artistique, ça suffit à m’être fidèle.
Quels sont tes projets en cours?
Je travaille, j’enregistre des chansons, je voyage, je vis et je fais des gâteaux , je ne vous en dirai pas plus [rire…]