Alexia, 31 ans, étudiante en arts
Quel est votre parcours ?
Je suis encore étudiante, j’ai un parcours universitaire en arts et cette année je finalise ma thèse en arts et sciences de l’art.
J’ai beaucoup voyagé pendant mon Master, cela m’a permis d’élargir mes recherches, d’aller à la rencontre d’autres cultures et de développer mon travail artistique à partir de ces expériences.
En quoi consiste le titre de Doctorante en arts-plastiques ?
Dans le cadre de mes recherches, je travaille en tissant ma pratique artistique avec mes recherches théoriques en mêlant des questions sur l’écriture, l’environnement et les récits qui donnent modèles notre société. Au fil de ces recherches une problématique émerge alors peu à peu, et prend forme. Cette année, je conjugue plusieurs statuts, je suis à la fois artiste plasticienne, chercheuse et étudiante. Les recherches dans ce domaine peuvent toucher divers sujets, par exemple l’écologie, le féminisme, des sujets qui vont se lier a l’art et à notre pratique.
Je croyais que c’était le Docteur de l’art quand le milieu de l’art est malade et que plus rien ne fonctionne ? (rires)
C’est ça, il y a de petits problèmes (rires). Non, non, nous travaillons sur la théorie et des concepts en ayant une pratique artistique, en réalisant des expositions, en développant une recherche à partir d’une pratique plastique et d’une pratique de l’écriture.
L’art évolue de lui-même, a-t- il besoin d’un grade supérieur avec autant d’études ?
Pas spécialement, pour moi c’est presque passionnel, mais il faut rester les pieds sur terre, il y a des hauts et des bas, la recherche fluctue. Tu développes toute une réflexion autour de ton travail, de recherches qui t’intéressent en les ouvrant à d’autres domaines, les réflexions que tu as sur ta propre pratique s’approfondissent, et tu te rends compte que tu es loin d’être la seule à être passé par ses réflexions. Tu travailles alors en prenant en considération le travail d’autres personnes, des artistes, des philosophes, des anthropologues, etc.. je vois la thèse comme un cheminement car tu découvres aussi beaucoup de choses sur toi-même. C’est un espace de réflexions sur trois ans voir plus. Ce qui est plutôt rare de nos jours, la possibilité d’avoir du temps pour réfléchir. Pratique artistique et théorique, tout ce mélange et s’ouvre à plein de domaines, c’est aussi un plaisir intellectuel.
C’est une passion ?
Ou a-t-on besoin de tout ça pour être un artiste ?
Je pense que c’est plutôt une passion, parce qu’on a envie d’aller plus loin intellectuellement aussi par rapport à son travail et sa pratique artistique ; et le Doctorat pousse aussi beaucoup à repousser ses limites, en quelque sorte c’est aussi un challenge personnel.
Comment regardez-vous un tableau ?
Comme tout le monde, ou cherchez-vous les détails et les techniques artistiques ?
Si c’est quelque chose que je n’ai jamais vu, je le prends directement, je le regarde comme tout le monde mais aussi à partir de ce qui m’intéresse et de mon cheminement.
En premier je vais le rapporter à ce que je fais, à ma pratique artistique mais aussi à des œuvres que j’ai déjà vues, je vais la comparer ou me projeter par rapport à ce que je connais. S’il y a des liens entre ce que je fais et ce que la personne fait, il va y avoir un échange, il y a aussi des œuvres qui ont transformé mon regard, je suis attentive aussi à ça, à la manière dont une œuvre à la capacité de changer mon regard sur le monde et cela peut venir d’un simple détail.
Vous servez-vous de la nature pour vos créations artistiques ?
Oui, j’observe beaucoup, mais souvent cela ne vient pas tout suite, il faut le temps que ça mature dans mon cerveau, et après les connexions se font.
Par exemple j’étais en Italie, j’ai travaillé dans un jardin et j’ai développé une écriture à partir de cendres végétales, ça m’a donné l’idée de travailler en mélangeant différents matériaux : de la cendre, de la terre et de l’eau afin de créer une écriture à partir de sa matérialité plutôt qu’à partir de la signification des mots.
Je m’inspire beaucoup de la nature en relation avec l’humain mais par l’intermédiaire de la pratique de l’écriture.
Enfant, quel métier rêviez-vous de faire ?
Enfant je savais que je voulais faire de l’art, je ne savais pas ce que ça voulait dire exactement mais j’avais envie de dessiner, cette envie m’est venue très tôt.
Quel genre d’enfant était Alexia ?
J’étais très calme, j’aimais bien être dans mon monde et dessiner des choses comme des bandes dessinées, je fabriquais aussi des livres, des potions magiques à partir de plantes, des cabanes ; et en même temps j’étais une enfant qui aimait beaucoup organiser des spectacles avec les autres élèves.
Quel a été l’élément déclencheur pour que vous choisissiez l’art pour vous exprimer ?
C’est tellement loin que je n’arrive plus à me souvenir. Je pense que j’ai toujours été quelqu’un d’hypersensible et quand je crée j’ai besoin de faire sortir quelque chose. De pouvoir m’exprimer sur des choses que je garde à l’intérieur de moi, de questions sur le monde qui m’entoure. J’aime me poser des questions, créer était une manière de répondre à ces questions.
Pourquoi avez-vous créé votre site d’Axone[s] ?
Là c’est complètement une autre histoire, c’était dans le cadre du Doctorat : on s’est aperçue qu’on travaillait très seules en Doctorat, on se retrouvait seuls face à nos recherches ; le site a été une manière de s’ouvrir au monde et aux autres, de faire nos recherches en rencontrant des gens à travers des interviews. Avec Stéphanie Kamidian et Iglika Christova on a alors crée cette plateforme de recherche.
De quoi parle votre art ?
J’ai commencé à dessiner de tout petits symboles sur du papier et ces symboles, je me suis rendu compte qu’ils ressemblaient une écriture s’approchant de la cartographie. Au fur et à mesure je me suis intéressée à tout ce qui était inscription, à la matérialité de l’écriture ; à comment, en cartographie, l’espace s’écrit. Puis j’ai associé des matériaux, comme des pierres brutes et du bois, avec des technologies numériques ; j’ai gravé, découpé dans la pierre, et j’ai réalisé que j’aimais travailler cette pratique d’inscription en mêlant les matières brutes à des technologies actuelles, comme la gravure laser par exemple.
Je m’intéresse beaucoup aux relations entre l’outil, l’humain et son environnement. Dans mes recherches la question de l’inscription et de l’écriture s’étend aujourd’hui aux récits qui prennent formes et donnent formes à notre société.
Comment définiriez-vous votre style ?
Je n’ai pas vraiment un style, je ne veux pas me limiter, mon travail évolue tout le temps.
Y a-t-il une relation entre vos voyages et votre peinture ?
Oui absolument : je m’intéresse beaucoup à la géologie et j’ai récupéré des pierres de nombreuses régions par exemple ; et j’ai rencontré des personnes qui m’ont appris des choses sur les lieux où ils vivaient, on ne vit pas de la même manière à la campagne, à la montagne, en ville, donc j’ai beaucoup appris sur ce lien entre humain et environnement. Tous les voyages que je fais enrichissent mon travail.
Trouvez-vous facilement des galeries pour vos expositions ?
C’est difficile quand tu commences et que tu n’es pas dans le milieu, que tu ne connais pas encore les codes, que tu ne sais pas comment ce milieu fonctionne, etc. Du coup j’y arrive mais il faut s’accrocher ! C’est plutôt compliqué. J’apprends peu à peu à organiser mon temps, tu peux vite être débordé mais dans la création c’est toujours fluctuant, tu postules pour des appels à candidatures, tu crées, tu écrits, etc. Mais je dirais que l’important c’est de garder des moments ou ton cerveau est libre de vagabonder.
Avez-vous déjà vendu vos tableaux ?
Oui j’en ai déjà vendu, pas beaucoup mais j’ai commencé à vendre il y a deux ans une série intitulé Origins. J’aime beaucoup l’idée de vendre des pierres.
Vous êtes sérieuse ?
Oui, ça me fait vraiment rire, c’est comme si vous achetiez un morceau de la planète, un petit morceau d’espace.
Mais ce sont des pierres que vous trouvez par terre ?
Oui, quelque chose que vous auriez pu trouver par terre mais qui change à travers l’art et prend une valeur, c’est intéressant aussi.
Quel ressenti avez-vous eu lorsque vous avez vendu une œuvre pour la première fois ?
Mon ressenti ça a été : c’est super, je vais pouvoir acheter d’autres matériaux et m’inscrire dans un « fab lab » (un atelier de fabrication où il y a des machines), je vais pouvoir mettre de l’argent de côté pour continuer à développer ma pratique.
Vous détachez-vous facilement de vos œuvres ?
A un moment donné il faut les vendre, tu es obligé de te détacher de ce que tu as créé. Mais je pense qu’au début surtout c’est difficile, comme tu mets du temps à penser sur ton travail, tu as l’impression de donner une petite partie de ta vie : par exemple il m’a été très difficile de vendre la pierre, à laquelle je m’étais habituée (je suis sensible aux pierres). Je connais la personne à qui je l’ai vendue et je lui ai demandé d’en prendre soin.
À partir de ce moment-là, tu essaies de te détacher, c’est normal, ça fait partie du jeu.
Qui est votre clientèle ?
Pour le moment je n’ai pas de clientèle, les personnes qui m’achètent sont surtout des personnes qui viennent dans les expositions et des amis.
En quoi ton art se différencie-t-il de celui des autres artistes ?
Je pense que chaque pratique est très différente, parce qu’elle fait partie d’un cheminement de vie, inspirée par des rencontres, des lieux, etc.. Ma pratique vient au départ de là ou j’ai vécu, dans la campagne en région centre, il y avait des machines agricoles, et cette relation avec les machines et la terre qui était très présente.
Quelle a été la réaction de vos parents quand vous leur avez annoncé que vous vouliez devenir artiste ou Docteur en arts ?
(Rires) Mes parents m’ont toujours poussée dans ce que je voulais faire. Mon père est musicien de jazz et ma mère infirmière, c’est vrai qu’à un moment donné ils m’ont poussé par sécurité pour que je passe le CAPES pour enseigner au collège, mais j’ai choisi de ne pas le faire et d’aller plus loin. Ils ont toujours respecté mon choix, ils m’ont toujours poussée à être libre, et quitte à travailler faire ce qui me plaisait.
Quel est la place des femmes dans le milieu de l’art ?
On ne les entend presque jamais…
C’est une question hyper vaste, mais qui doit être posée. Je pense que c’est toujours difficile de rentrer dans le milieu artistique en tant que femme. Je ne suis pas encore assez rentrée dans le milieu, je suis encore étudiante, mais il me semble que c’est difficile et qu’il faut se battre de toute manière. Cependant les choses changent aujourd’hui.
Dans quel secteur de l’art vous voyez-vous après vos études ? Ouvrir une galerie, devenir prof, agent d’artiste… Quel sont vos objectifs ?
Dans l’avenir proche j’ai envie de voyager, puis j’aimerais enseigner : j’ai enseigné il y a deux ans et j’ai beaucoup aimé ça, parce que j’avais un échange avec les élèves et c’était très enrichissant de discuter avec eux.
Bien sûr je souhaite aussi continuer mon art, c’est quelque chose qui est lié à ma vie.
Que veut dire le mot liberté pour vous ?
La liberté c’est d’être en accord avec soi-même et faire ses choix de vie. Ce n’est pas toujours facile aujourd’hui. Je pense que la liberté ça se travaille et que tout est possible si c’est nécessaire pour soi.
Vous sentez-vous libre ?
Je ressens cette liberté quand je crée, quand je sents que je dépasse une limite, je me rends compte que souvent les limites je me les impose consciemment ou inconsciemment. Je ne sais pas si une totale liberté existe mais je pense qu’on peut s’en approcher en dépassant ses limites, ses croyances, etc.
Êtes-vous militante ?
Je ne suis pas une militante, mais je réfléchis sur le féminisme et l’écologie ; mais l’étiquette militante je suis vigilante, je n’aime pas être enfermée dans une communauté.
Je pense qu’en soi, faire de l’art et se rapprocher d’une certaine liberté, ça fait partie d’une sorte de militantisme car tu penses sur le monde qui t’entoure, l’environnement dans lequel tu vis, tu le questionnes, je ne veux pas m’enfermer dans des idéologies. Je pense que ce sont nos croyances qu’il faut dépasser, essayer de comprendre d’autres modèles, et questionner les représentations imposées par notre société.
Vous sentez-vous concernée par le développement durable ?
Comme j’ai dit, je n’aime pas l’idée d’être enfermée dans une communauté ; mais je me sens concernée, bien sûr, parce que ces questions sont essentielles à notre époque. Même si par moments je me demande si cela ne pourrait pas devenir dans une forme d’idéologie, je pense que c’est très important d’y penser et d’y participer.
Pourquoi vous exprimer par le dessin et la peinture et non pas par l’écriture ?
Je trouve que c’est plus direct par la peinture et le dessin que par les mots. Pour moi la peinture et l’écriture sont une forme d’écriture. Je m’intéresse à l’écriture dans sa matérialité, dans sa relation avec l’espace, avec le terrestre. Je réfléchis beaucoup en images ; d’autres personnes réfléchissent peut-être plus par les mots, moi je pense beaucoup par images associés, c’est plus simple pour moi. Curieusement écrire un texte a toujours été plus difficile pour moi, que de penser l’écriture plastiquement. Même pour mon Doctorat c’est difficile, mais il faut le finir et j’apprends toujours.
Quels sont les artistes qui vous ont influencée ?
Je me suis inspirée de beaucoup de mes lectures, de philosophes et d’artistes comme : Christian Dautremont, de Jean Dubuffet à propos de l’écriture et de matérialité, mais aussi des artistes d’Earthworks, comme Mickael Heizer qui a beaucoup inspiré mes recherches sur la terre, l’espace et son usage de machines.
Quand je regarde vos œuvres, je voie que vous vous inspirez beaucoup de la nature
Je travaille sur des volumes, des formes, des installations, mais je vais chercher au fond de moi ma création ; je n’exprime pas sur la toile qui je suis, mais j’exprime une pensée sur notre époque, sur moi aujourd’hui dans ce monde, sur la façon dont je vais travailler avec les choses autour de moi… C’est un échange entre tout ce qui m’entoure et moi-même.
Vous considérez-vous comme une artiste ?
J’essaye, sur le papier oui parce que je suis à la maison des artistes. Mais ce n’est peut-être à moi de le dire, même si je me sens artiste plasticienne.
Quel est le rôle de l’artiste dans la société ?
Je pense qu’il aide à dépasser certaines limites, certains modèles qu’on peut avoir dans notre société. Il amène une certaine liberté de pensée dans la société, il détruit certains codes ou les dépasse.
Et vous, comment participez-vous ?
J’essaye d’abord de dépasser les codes et les limites ancrées en moi et de déterminer ceux imposés par la société. Il est difficile de s’en défaire mais je pense qu’il est nécessaire d’en prendre conscience pour agir et être en accord avec soi.
Que pensez-vous des réseaux sociaux ?
Je pense que c’est utile pour communiquer, et en tant qu’artiste pour montrer son travail.
Mais je trouve aussi que les réseaux sociaux peuvent devenir addictif et envahissant et parfois ça nous empêche de voir ce qu’il se passe autour de nous. J’ai souvent besoin de me déconnecter, car c’est vraiment chronophage.
Est-ce que vous sentez dépassée par toutes ces nouvelles technologies ?
Dépassée non, mais submergée, dans le sens où j’ai l’impression que nous sommes dedans en permanence. Je pense qu’il faut trouver des moyens de s’échapper par moments.
Je suis allée faire une résidence d’arts, où mon ordinateur et mon portable ne fonctionnaient pas, j’étais perdue dans les montagnes, et finalement ça te donne une toute autre force de création. Il faut apprendre à se déconnecter.
Quel a été votre ressenti lorsque vous avez habité seule pour la première fois ?
J’étais très jeune, j’avais 18 ans, j’avais l’impression de couper le cordon ombilical avec la famille et je me suis sentie très seule, j’ai pleuré. Et en même temps je voulais montrer que j’étais adulte, au bout de trois jours des amis sont venus et tu commences à prendre le rythme.
Quel ressenti avez-vous eu quand vous avez exposé pour la première fois ?
C’est très agréable comme émotion, j’étais stressée parce que tu ne sais pas comment ton travail va être reçu et perçu ; pour moi c’était comme lorsque j’étais petite et que je faisais des spectacles, il y a ce petit stress parce que tu t’exposes, tu te montres et que tu vas devoir parler de ton travail. C’est agréable comme sensation.
Que pensez-vous des musées ?
J’adore les musées. J’aime visiter les musées parce qu’il y a une espèce de recueillement, un temps pour penser. J’aime beaucoup y aller seule, par exemple j’aime aller le soir au musée du Louvre et me balader seule avec les œuvres, j’adore parce que tu prends le temps de bien regarder.
Que pensez-vous du musée de l’armée ?
Je suis rentrée dedans mais pour aller au musée des plans relief, ce sont des plans immenses en relief certains datent de la renaissance, tout est un peu poussiéreux, dans la pénombre. Pour aller au musée des plans reliefs tu passes par le musée de l’armée.
Quels sont vos projets d’ici 5 ans ?
Faire plusieurs résidences d’artistes en Europe et si je peux rester sur Paris c’est super, mais je pense aussi parfois vivre ailleurs.
Mais je n’ai pas envie de planifier pour plus tard, les choses viennent aussi comme ça.
Qui est Alexia aujourd’hui ?
Alexia aujourd’hui est une femme de 31 ans et qui a hâte que sa thèse se termine pour enfin pouvoir se développer personnellement et ne plus être étudiante.
Depuis l’âge de 6 ans vous êtes étudiante, vous n’en avez pas assez ?
Si, je n’en peux plus, j’ai passé la moitié de ma vie à étudier ; j’aime ça, mais à un moment donné c’est bon. J’ai encore un an de Doctorat, après c’est fini !