Maïthé, 32 ans, entrepreneuse chorégraphe
Quel est votre objectif ?
Mon objectif c’est de créer un pont entre l’Afrique, l’Europe et les Caraïbes pour mieux promouvoir les cultures afro-caribéenes, qui ne sont pas toujours bien exploitées. Pour moi c’est important, je suis dans le milieu de l’enseignement de la danse et je constate qu’on doit mieux véhiculer l’image de la culture afro-caribéenne en Europe, elle n’est pas assez représentée.
À quel moment avez-vous choisi de vous exprimer par la danse ?
Enfant, j’étais quelqu’un de très timide. Pour moi la danse était le meilleur moyen de m’exprimer pendant mon adolescence et de me libérer plus facilement de mes émotions pour sortir de cette timidité.
La danse pour vous c’est un métier ou une passion ?
C’est un métier.
Quel est votre plan B après la danse ou si vous échouez ?
C’est compliqué pour moi de vous répondre. La danse c’est très large, je ne me vois pas donner des cours toute ma vie. J’ai d’autres aspirations, je ne veux pas juste être un professeur de danse, ou arrêter ma vie là . Je vois les choses plus loin, j’aimerais pouvoir contribuer à la professionnalisation de la danse et pouvoir travailler dans l’événementiel de promotion de la culture.
Pour moi il n’y a pas de plan B, c’est ça ou rien.
Nous vivons dans un monde avec beaucoup de lois et d’interdictions, si demain une loi sortait pour interdire la danse, que feriez-vous ?
J’ai un fort tempérament, je suis de nature têtue : je continuerais à danser, parce que c’est ma manière de m’exprimer. Me demander d’arrêter de danser, c’est comme si vous me disiez de ne plus parler : ce n’est pas possible, j’ai besoin de parler.
Vous pensez que la danse peut atteindre les extrémités de la Terre et changer les personnes ?
Bien sur, ça m’a changée moi-même.
Dans les pays du tiers-monde, ils pratiquent beaucoup la danse ; que pensez-vous de leur créativité ?
La danse reste toujours un moyen de s’exprimer, quel que soit le pays ou le niveau de vie, pauvre ou riche.
Comment caractérisez-vous l’art de la danse ?
On représente la danse comme des gens qui dansent dans les fêtes de mariage, mais pour moi il est possible de professionnaliser sa danse en allant plus loin.
On peut travailler pour des compagnies, on peut travailler pour des artistes ou devenir chorégraphe ; c’est autre chose que de danser ou juste donner des cours. Donner des cours ce n’est pas une finalité, il y a plein d’autres choses à côté qu’il est possible de faire, ce n’est pas juste utiliser son corps pour faire des mouvements, c’est aussi utiliser son cerveau.
Au fur à mesure qu’on prend de l’âge, on commence à donner moins de cours de danse. On devient plutôt chorégraphe et on travaille plus en événementiel, on s’occupe d’organiser des événements de danse, on travaille sur les contrats et les sponsors… c’est un très long parcours la danse.
Le rôle d’une école de danse c’est d’apprendre à danser ou de former des grands danseurs ?
C’est difficile pour moi de répondre à cette question, personnellement je n’aime pas les écoles de danse.
Je m’explique : il y a ce formatage et ce côté industriel où on vous donne de la matière sans forcément vous apporter l’explication liée à la culture de la danse. Je ne suis pas pour le concept d’école mais je travaille avec les écoles parce qu’il le faut.
Je préfère travailler sur un autre concept ou format, des cours un peu plus longs et pas forcément comme dans une école avec un règlement qui dit que tu dois arriver à telle heure, enlever tes chaussures… ça non, il faut laisser les gens libres et avoir l’esprit ouvert.
Mais il faut des écoles de danse, parce qu’il faut pouvoir donner l’opportunité aux gens de prendre aussi de la matière pour se former et devenir danseurs professionnels s’ils le souhaitent.
Mon rêve, c’est d’ouvrir des centres culturels de danses afro-caribéennes.
Avez-vous un bon réseau ? C’est quand même un milieu fermé la danse ?
C’est un milieu fermé et ouvert à la fois : à force de se déplacer ou de faire des voyages, on crée des contacts qui permettent de développer un réseau.
La danse afro-caribéenne est-elle bien représentée en Europe ?
La danse afro-caribéenne est beaucoup utilisée aujourd’hui mais souvent mal utilisée car elle est liée aux contextes culturels, politiques, etc.
Il y a des rumeurs qui courent depuis des années disant que dans le milieu de la danse, les danseurs, chorégraphes, clients ou sponsors couchent entre eux pour décrocher des contrats ou pour être sur scène ; qu’en est-il ?
Il y a deux choses à comprendre : c’est vrai que dans le milieu de la danse, on dit que tout le monde couche ensemble. Mais ça dépend de la personne, si elle a des valeurs et du respect pour elle-même. Et si tu as des valeurs, tu ne vas pas coucher avec quelqu’un uniquement pour atteindre tes objectifs, tu vas travailler dur pour les atteindre et éviter de tomber dans ce travers.
Évidemment, chaque personne réagit différemment.
Comment faites-vous pour concilier votre vie privée et votre vie professionnelle ?
Pour moi tout est une question d’équilibre, il y a des compromis à faire, c’est juste ça.
Devenir une danseuse connue, qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Ma manière de danser est très subjective, j’ai un parcours qui peut inspirer ou aider d’autres personnes, surtout les femmes. Du coup oui, j’ai envie de partager ça parce que je sens que ça a un effet sur les gens. Pour moi c’est ça qui est gratifiant : sentir que tu peux apporter aux autres des choses qui changent leur vie.
Vous sentez-vous investie d’une mission ?
Oui, tout ce qui est danse afro-caribéenne est très important pour moi, j’aime pouvoir apporter ce bagage. Ce mouvement n’a pas été créé par une mode, il a été créé parce qu’il explique une situation de crise dans une vie, donc pour moi c’est super important.
Quel est le rôle de vos proches dans la danse ?
Disons que quand tu es dans le milieu de la danse, tu dois investir beaucoup de ton temps et de ton énergie, donc tu n’es pas toujours là pour les évènements importants comme les fêtes, les anniversaires…
Quel a été la réaction de vos parents quand vous avez choisi la danse comme métier ?
J’ai de la chance, mes parents ne m’ont pas dit que la danse n’était pas un métier, j’ai des parents qui mon poussée et aidée.
Quels sont les artistes qui ont influencée votre carrière ?
Quand j’étais petite, j’étais fan de Janet Jackson, elle m’a beaucoup inspirée.
Vandela, une danseuse de dance hall, m’a aussi beaucoup inspirée.
A quel moment êtes-vous le plus inspirée pour créer des chorégraphies ?
Je suis plus créative le soir et souvent quand je reviens de voyage.
À quel moment décidez-vous qu’un mouvement est bon et prêt pour être utilisé dans une chorégraphie ?
Quand je le sens dans mon corps, parce que l’objectif c’est de transmettre quelque chose.
Il faut que je ressente que le mouvement me convient à l’intérieur de moi.
Que veut dire pour vous le mot liberté ?
C’est le fait de pouvoir choisir ce que nous avons envie de faire.
Vous sentez-vous sentez libre ?
Plus que jamais.
Quel est le rôle de la musique dans votre vie ?
La musique est mon oxygène, mais aussi ma base de travail et de création. Elle me permet de me consoler quand je ne vais pas bien.
Comment faites-vous pour vous évader, mis à part la danse ?
Je voyage pour la danse, j’aime beaucoup faire du shopping, et profiter des moments simples de la vie avec mes proches.
Que pensez-vous de tous ces réseaux sociaux ?
Il y a deux choses à dire. Pour moi en tant qu’artiste c’est très important et très utile. Mais ça peut aussi être très négatif, parce que nous vivons dans une société très influencée par les réseaux sociaux, tout passe par là aujourd’hui, le bien comme le mal.
Quelle première fois qui vous a marquée ?
C’est très récent, quand mon père et venu me voir et ma dit : Maïthé il serait être temps que tu fasses des enfants, tu as bientôt 40 ans.
Vous lui avez répondu quoi ?
Papa, je viens à peine d’avoir 32 ans…
Quel a été votre ressenti la première fois que vous êtes montée sur scène ?
J’étais très stressée au début, vous vous sentez vraiment très mal et une fois que vous êtes sur scène, ça part en 3 secondes. Et une fois terminé, on en redemande !
Quel a été votre ressenti la première fois que vous êtes montée sur scène à Los Angeles ?
Ça a été très dur et compliqué parce que je n’avais pas fait beaucoup de scène à l’époque et je n’avais pas d’expérience à l’international. Mais comme je suis une battante j’ai pris le défi et j’ai pris ça comme un bon apprentissage.
Los Angeles c’est très particulier, c’est chouette d’avoir pu le vivre et d’avoir rencontré des danseurs très renommés.
Quel ressenti avez-vous eu la première fois que vous avez gagné un salaire ?
C’est un sentiment mêlé parce que c’était trop d’argent d’un coup, mais en même temps il se peut que tu n’aies pas d’autre cachet avant plusieurs mois.
Quel ressenti vous avez eu la première fois que vous avez habité seule ?
Je n’aime pas être seule à la base, j’ai eu un petit coup de blues. Pas de sentiment de liberté parce que j’ai toujours été très libre.
Quel est le secret de la longévité du couple pour vous ?
Je pense que c’est super important que chacun respecte les envies de l’autre. Pour moi être en couple c’est être à trois, il y a l’homme, la femme et le couple. Si l’homme ou la femme n’est pas bien seul, à trois ça va être compliqué.
Qui est Maïthé aujourd’hui ?
C’est une femme de 32 ans qui vient de se rendre compte de ce qui est important dans sa vie et qui s’épanouit en tant que femme.
Quel est le pays qui vous ressemble le plus ?
Par rapport à mon parcours et ma vie, je me rends compte que j’ai vraiment besoin des deux, j’ai besoin d’être en contact avec les Caraïbes et l’Afrique, parce que les deux me ressemblent.
Comment vous voyez-vous dans 5 ans ?
J’espère avoir terminé mon projet entre l’Afrique et les Caraïbes.
Quel est votre rôle ?
Je vais là-bas donner des cours de danse et apporter à l’Afrique ce que j’ai appris en Europe, la professionnalisation de la danse.
Vous allez apprendre aux Africains quelque chose qui vient de chez eux ?
Ils savent danser mais ils ne sont pas professionnels.
Quand vous parlez de professionnaliser, ça veut dire mettre les gens dans une case ou les formater ?
Non, je veux juste que les gens puissent être mieux reconnus dans ce qu’ils savent faire parce qu’il y a beaucoup de qualités chez eux.
Il y a des choses qui se passent en Afrique que nous, en Europe et en Amérique, ne voyons pas parce que ce n’est pas professionnalisé. Les gens dansent dans les rues, c’est comme ça que nous avons grandi. Alors qu’aux Etats-Unis tu peux être un grand danseur et allez danser avec Chris Brown, Madonna ou Rhianna.
En Jamaïque, deux agences de production viennent d’ouvrir et leur job c’est d’encadrer les jeunes danseurs de rue pour les faire venir en Europe donner des cours de danse. Les Jamaïcains adorent l’Afrique. L’échange entre l’Afrique et la Jamaïque pourrait être tellement fort, j’aimerais pouvoir favoriser ce partenariat.
En Europe les cours de Kuduro ou Kizomba, c’est comme un cours de danse européenne qui n’existe pas. Pour moi c’est un manque de respect vis-à-vis de l’Afrique. Ceux qui sont ici font leur business avec des danses qui ont été créées en Afrique et dans les Caraïbes, ils se font de l’argent avec la créativité des autres.
Encadrer les jeunes danseurs de rue et les faire venir en Europe donner des cours, c’est leur donner la possibilité que leur culture soit respectée et valorisée.
Vous fréquentez les musées et les expositions ?
Oui bien sûr, je vais voir des expositions dans les galeries. Mais ce qui me dérange c’est que certaines expos sont dirigées dans un certain sens juste pour faire plaisir à certaines communautés.
C’est l’Etat qui dirige ces expos et du coup les sujets ne sont pas bien exploités.
En l’occurrence je fais allusion à deux expositions : l’une sur la culture hip-hop, qui n’était pas bien représentées parce qu’elle n’avait été réalisée que par une petite partie de la communauté hip-hop. L’autre, Africalia, organisée par le musée des Beaux Arts, était complètement faussée, il manquait beaucoup d’informations.
Avez-vous déjà visité le musée de l’armée a Paris ?
Non. Chez nous aussi il y a un musée de la guerre, j’y suis allée quand j’étais petite avec l’école. No comment, cela ne n’intéresse pas vraiment.