Claire, 27 ans, étudiante en anthropologie
Quel est votre parcours ?
Je fais un doctorat en anthropologie, je donne des cours de Pilates dans une association et je participe à des ateliers de danse. Ces trois disciplines, anthropologie, Pilates et danse, font partie des grands plaisirs de ma vie.
Qu’êtes-vous en train de fuir pour entreprendre plusieurs activités à la fois ?
J’aime être à la fois active de mon corps et de mon esprit, donc je ne fuis pas, je vais plutôt chercher ce qui me complète, et ça passe par des activités et des rencontres que permettent ces trois disciplines. Je suis tout le temps avec moi-même quand je fais tout ça ! Mais ce que je suis, je le suis à la rencontre de quelque chose, de quelqu’un.
Vous sentez-vous investie d’une mission ?
La mission va et vient. En tout cas, j’aime enseigner. J’ai déjà enseigné la danse, j’enseigne le Pilates, je n’ai pas encore enseigné l’anthropologie. L’enseignement fait partie de mon propre apprentissage. Ce n’est pas une fuite, ce n’est pas une mission non plus, je dirais que c’est un prolongement, c’est vouloir que ces disciplines que j’aime perdurent.
D’où vous est venue cette passion pour l’anthropologie, et pourquoi ?
Ça a été un cheminement, je n’ai pas commencé par étudier l’anthropologie, par exemple. J’ai d’abord commencé par la philosophie. J’ai fait un échange universitaire à l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM) et j’y ai découvert l’anthropologie. J’y suis venue par des rencontres avec des gens qui m’ont donné envie de faire ce qu’ils faisaient.
L’anthropologie pour vous c’est une vocation ? ou c’est plutôt des études pour combler un vide en attendant de savoir dans quel domaine vous voulez travailler ?
J’ai continué mes études, de philosophie puis d’anthropologie de la musique, parce que les milieux professionnels qui m’attiraient avaient un rapport à l’écriture et à l’enseignement, et prolongeaient des passions de longue date, comme la musique et la danse. Les études ont été pour moi une manière progressive de me professionnaliser : j’ai fait un Master « Musique » à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et, ensuite, j’ai pu obtenir une bourse doctorale de trois ans pour faire de la recherche en anthropologie. La recherche, ce n’est plus les études, ou c’est ce qu’elles devraient être. C’est prendre des risques, c’est mener et défendre un projet personnel. J’ai commencé un projet qui m’a amené à comprendre comment s’organisait la diaspora soninké (Mali, Mauritanie, Sénégal, Gambie) en Ile-de-France, à connaître ses artistes. De l’avis d’autres collègues, faire un doctorat c’est un peu un rite initiatique. C’est un long travail pendant lequel on apprend à préciser ses idées, et à les partager.
La suite de votre doctorat en anthropologie, c’est de devenir prof ou d’être sur le terrain en tant qu’anthropologue ?
L’idée, c’est de n’être ni seulement prof, ni seulement sur le terrain (sans quoi on ne peut pas partager ce que l’on observe) : c’est de trouver un équilibre entre les deux.
Quel sont vos projets à court terme ?
Soutenir ma thèse. Ça, c’est le côté anthropologie. Côté Pilates, c’est de continuer à donner des cours. Et pour la danse, j’ai quelques échéances à venir, comme des spectacles. Au-delà des échéances, c’est simplement de pouvoir continuer à éprouver et partager le plaisir de la danse. Je soutiens également des amis qui donnent des cours ou organisent des festivals.
Pouvez-vous me donner la définition du Pilates ? Je pense que beaucoup ne connaissent pas cette discipline.
Le Pilates est une méthode alliant exercices de renforcement musculaire et respiration profonde. Le nom de la discipline vient de Joseph Pilates (1883-1967), qui a développé une méthode d’entraînement pour palier dans un premier temps à ses propres souffrances physiques. Le Pilates est aujourd’hui très développé en Espagne, un peu moins en France. Il peut se pratiquer avec un simple tapis de sol, avec des accessoires, ou sur machine.
Ces trois activités que vous pratiquez, c’est une manière de vous évader de la société ?
La danse, l’anthropologie et le Pilates, tout est lié : je ne pense pas m’évader, je pense être de plus en plus en phase avec moi-même. Par exemple hier, quand on a fait notre spectacle de danse, je pensais à donner de l’énergie au public qui était présent. De la même manière que je penserais à bien expliquer une idée à un étudiant en anthropologie. C’est cette idée d’acquérir quelque chose pour soi et de bien savoir le donner par le corps et/ou par la parole. Je pense ces trois activités dans un même ensemble.
Que voulait faire Claire quand elle était enfant ?
Elle voulait faire psychologue. Quand j’ai acheté le livre Les 25 mots clés et de la psychologie et de la psychanalyse, j’avais à peine 12 ans ! C’était ma première envie de métier, psychologue. Après, j’ai voulu être écrivain. Ensuite, j’ai voulu être flûtiste, puis danseuse, puis professeur de philosophie. J’essaie aujourd’hui d’équilibrer ces différentes aspirations.
Que représente pour vous le mot liberté ?
Quand je pense au mot liberté, je vois un grand espace devant moi, soit des montagnes, soit l’océan. Pour moi, la liberté est liée au mouvement. Être libre, c’est pouvoir bouger, soit dans son esprit, soit dans son corps, soit les deux à la fois. Avoir de la place et pouvoir être en mouvement.
Vous sentez-vous libre ?
Ça dépend des moments, ce n’est pas quelque chose d’acquis. Hier, j’ai discuté avec un ami qui me rappelait un mot d’esprit connu : la liberté, c’est de choisir ses dépendances. Je suis plus dans cette idée-là. On se sent libre parce qu’on a choisi ce à quoi on voulait s’attacher.
Êtes-vous militante ?
Je dirais que je suis militante à ma manière. Quand je dis quelque chose, j’essaie de le faire.
Quelles sont les personnes qui vous ont influencée ?
Deux personnes m’influencent encore beaucoup : mes grands-parents polonais, Babcia et Dziadek. Mes parents également, mon frère, et quelques rencontres merveilleuses.
Êtes-vous quelqu’un qui est à l’écoute des autres ?
Oui.
Quand vous êtes à l’étranger, qu’est-ce qui vous aide à surmonter les difficultés du moment ?
J’écoute de la musique, je danse…Parler à quelqu’un ! Souvent, quand on se parle à soi-même, les problèmes ont l’air d’être grands et graves, mais quand on parle à quelqu’un, même à un inconnu, ils rétrécissent.
Vous voyagez beaucoup ?
Dès toute petite, on faisait souvent des voyages vers la Pologne, en voiture, puis en car, et ensuite – beaucoup plus tard – en avion ; ces voyages vers la Pologne m’ont peut-être donné le goût des autres voyages.
Quels sont les pays où vous avez voyagé ?
De nombreux pays en Europe, en Amérique Latine et dans les Caraïbes. Je ne connais pas l’Asie. J’ai fait un très beau voyage au Sénégal et en Mauritanie.
En faisant tous ces voyages plus ou moins lointains, avez-vous souffert de votre métissage ou était-ce plutôt un plus ?
C’était plutôt un avantage parce que dans plusieurs pays, tant que je ne parle pas, on me croit autochtone.
Donc votre place n’est pas ici ?
Si, aussi. Je reviens toujours de mes voyages.
Après tous ces voyages, quelle est la ville ou le pays qui vous ressemble le plus ?
Le Mexique, notamment la ville de Tepoztlán.
Quels sont vos pronostics pour la finale de la coupe du monde 2018 en Russie ?
Hier, j’ai regardé un reportage sur Mbappé. Avant ça, je ne le connaissais même pas, je ne suis pas football du tout. Je supporterai le vainqueur. Vous voulez savoir ? En finale, je vois le Sénégal face au Maroc.
Que pensez-vous de tous ces réseaux sociaux ?
Les réseaux sociaux ont une double face : ils ont permis à beaucoup d’informations importantes de circuler très vite, ils ont permis aux gens de mieux s’organiser. Mais en même temps, ils investissent la vie privée des gens, volent des données, les dispersent partout, prennent du temps dans la vie chacun… Aujourd’hui, s’informer demande plus de vigilance qu’il y a 10 ou 20 ans. Plus il y a d’accès, plus il y a de diffusion, plus il faudra s’informer pour être conscient des incidences de chaque « connexion ».
Les médias ont-ils une importance dans votre vie ?
La radio : j’aime beaucoup écouter les voix. C’est le média que je préfère, même si je regarde (et écoute) beaucoup Youtube.
Quel est le secret de la longévité du couple pour vous ?
La communication. Ne pas imaginer ce que l’autre va faire. Plutôt dire ce que l’on pense, le dire sans peur.
Quel souvenir gardez-vous de la première fois que vous êtes tombée amoureuse ?
C’était peut-être à l’âge de 10 ans, en vacances dans un centre familial. Quelqu’un qui ne m’a peut-être jamais vue, qui ne m’a jamais adressé la parole. Tous les fantasmes passent par là ! La meilleure manière de tomber amoureuse quand on a 10 ans, c’est de ne pas parler à la personne concernée, et qu’elle ne vous remarque jamais. C’était ça mon premier amour, tomber amoureuse de quelqu’un qui ne sait pas que j’existe.
Quel ressenti avez-vous eu lorsque vous avez habité seule ?
Un très court sentiment de liberté, parce que c’était dans un studio de 9 m² pendant trois ans.
Vous étiez en prison alors ?
Oui un peu, c’était un ancien hôpital psychiatrique dans le 16ème arrondissement de Paris, qui s’appelle le Foyer des Lycéennes. Les chambres des jeunes filles étaient les cellules de l’époque !
Quel a été votre ressenti lorsque vous avez touché votre premier salaire ?
Un soulagement !
Qui est Claire aujourd’hui ?
Elle n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air, votre question… (rires) Je dirais une personne qui est plus apte à reconnaître ses défauts tout en étant plus sereine qu’il y a quelques années.
Quels sont les pièges à éviter dans le milieu de l’anthropologie ?
Comme dans tous les milieux, les relations humaines sont très importantes. C’est important de marquer ses limites dès le départ d’une relation. Le conseil que je me donne à moi-même, parce que je me connais, c’est de poser des limites et de ne pas trop donner, c’est de trouver un bon équilibre pour de bonnes relations de coopération.
Comment vous voyez-vous dans 10 ans ?
Dans 10 ans, j’aurai 37 ans, je me vois toujours dansant (rires), dans un chez-moi qui fait plus de 9 m², avec toujours autant d’énergie pour danser avec les enfants qui seront là.