J’ai réellement envie d’être à la tête d’une ONG…

 

 

Yasmine, 21 ans, Paris

Je suis étudiante en Sciences Politiques à Nanterre.

Vous voulez changer le monde ?

Il en faudrait plus pour changer le monde, mais qui ne rêve pas secrètement de changer ce monde ?

Quel est votre objectif avec ces études ?

Je n’ai pas d’objectif parce que je trouve que c’est une règle complètement nouvelle de se donner des objectifs. Je n’en ai pas de concret et je crois que je n’ai pas particulièrement envie de m’en fixer.

Dans ce cas, pourquoi avez-vous décider de faire des études en sciences politiques ?

Pour essayer de comprendre les institutions, la société et les comportements sociaux, pour comprendre toutes les structures politiques. Mais les comprendre ne veut pas forcément dire agir avec elles. Les études c’est formateur aussi. 

J’ai déjà fait de l’anthropologie par exemple, mais je n’ai pas envie de m’angoisser avec des objectifs, je souhaite surtout comprendre les comportements humains et sociétaux. Je n’ai pas d’objectif concret, parfois j’ai envie de devenir artiste, parfois vendeuse de fruits, marchande, archéologue… tous les jours j’ai envie de devenir quelqu’un de différent.

Quel est l’élément déclencheur de ce choix ?

Il y a une Yasmine qui a la dalle, qui a faim, qui est un animal politique et qui a envie de changer les choses, de créer des associations, qui a envie de faire de la diplomatie, qui a envie de faire quelque chose de macro.

Et il y a une autre partie de moi qui me dit « calme toi, est-ce que tu as réellement envie de faire tout ça ? ». Est-ce que j’ai réellement envie d’être à la tête d’une ONG, diriger telle entreprise, peut-être que ce que je veux c’est me retrouver avec la nature, voyager, rencontrer des personnes, échanger quotidiennement, travailler avec des petits agriculteurs locaux, faire pousser des fruits et des légumes dans mon jardin. En somme, faire quelque chose de plus micro.

Il y a ces deux forces là et je n’arrive pas à savoir laquelle a raison. Peut-être un peu les deux ! Cela fait des années que ces deux forces se battent en moi, c’est comme la lune et le soleil, le jour et la nuit et c’est assez douloureux je dois dire.

Je pense que tous les maux, les angoisses sont explicables par des raisons concrètes. Je crois qu’ils sont le fruit de mon éducation, d’un passé qu’on m’a laissé qui est complètement anxiogène. Je n’arrive pas à savoir alors je me débats avec tout ça.

Vos parents ou votre entourage vous ont-ils influencé dans votre choix ?

Tout d’abord, ils m’ont influencé à faire de grandes études et j’ai commencé par des études de droits, puis je me suis dirigée vers les sciences sociales et maintenant vers les sciences politiques. Mais à chaque fois, inconsciemment, je me suis dirigée vers des études qui pouvaient déboucher sur un certain statut professionnel. On peut donc dire qu’il y a bien eu une influence de mes parents.

Vous sentez-vous fière de votre parcours ?

Oui je me sens fière mais si je m’étais écoutée, actuellement je ne ferais pas d’études. J’aurais pu être ailleurs, peut-être en Afrique du Nord ou du Sud, quelque part où j’apprendrais du quotidien des autres parce que la théorie pour le moment ça m’écœure un peu car je voudrais voir les choses par moi-même.

Avez-vous envie de changer le monde ?

Changer le monde je trouve ça énorme pour une seule personne, c’est tous ensemble que l’on peut changer le monde. Une personne ne le changera pas, elle peut y contribuer et moi je souhaite contribuer à changer le monde, et on y participe tous d’ailleurs.

Lorsque vous étiez enfant, quel genre d’élève étiez-vous ?

Une élève qui manquait et qui manque toujours d’assurance. L’élève Yasmine elle n’ose pas, elle n’ose pas dire ou démontrer ses essais intellectuels, elle n’ose pas écrire, il y avait une sorte de violence symbolique. Et mes professeurs m’ont toujours encouragé, ils m’ont toujours dit que j’étais très intelligente, m’ont toujours soutenue, toujours poussé, on m’a donné énormément de chances.

Si je comprends bien Yasmine se bat contre elle-même ?

Oui tous les jours, je me bats contre un point de vue contre l’autre, un sentiment contre l’autre, une sensation contre l’autre, je suis constamment dans cette dualité là.

Y a-t-il un pays dans lequel vous souhaiteriez vivre ?

Non parce que je sais que je ne sentirais chez moi nulle part car partout c’est chez moi.

Que pensez-vous du mot liberté ?

Si vous m’aviez posé cette question il y a quelques mois, j’aurais pensé que vous vous moquiez de moi (rire). J’étais très déterministe, pour moi tout était déterminé à l’avance, conditionné, nous n’avions aucun libre arbitre. Aujourd’hui, je suis toujours déterministe mais je me dis qu’en soi la liberté on peut la créer, c’est comme l’artiste qui crée sa toile, moi je peux créer ma propre liberté, lui faire une place en moi. Mais je pense qu’elle n’existe pas en réalité.

Il y a plusieurs types de liberté : la liberté en droit, en philosophie, il n’y a pas de définition de la liberté, c’est une notion assez floue, par conséquent tout le monde peut se la créer.

En ce moment, vous sentez-vous libre ?

Par encore. Il faut peut-être que j’ajoute quelques couleurs, quelques traits. Tout ce que je vous dis c’est à mon image, c’est nébuleux, c’est du brouillard, rien de concret.

Comment faites-vous pour vous évader ?

Je ne fais rien et comme je n’ai pas souvent eu l’occasion de voyager, dans le fond je crois que je ne m’évade pas. Je ne fais pas de sport, j’ai arrêté de me nourrir artistiquement, mais j’y reviens.

Si j’avais des dons artistiques, j’écrirais, je danserais, je chanterais, je peindrais, je dessinerais. Mais je m’en empêche parce que j’ai le syndrome de l’imposteur je crois, c’est-à-dire que je peux me dire « pourquoi je dessinerais vu que je n’ai pas de talent », « je n’ai pas de légitimité pour écrire parce que je n’ai pas confiance en mon écriture ». En réalité c’est un problème de confiance en soi parce que si je peignais et que quelqu’un me disait à quel point mes toiles sont belles, je me dirais que cette personne me dit ça uniquement pour me faire plaisir, et que je n’ai pas de talent réel. En gros le syndrome de l’imposteur c’est de douter de ses capacités.

Que pensez-vous des réseaux internet ?

C’est comme tout, ce n’est ni noir ni blanc, c’est gris, c’est-à-dire qu’il y a des côtés extrêmement positifs comme la circulation de l’information qui est très rapide, le fait d’accéder à différentes opinions. On voit et écoute des personnes que l’on n’aurait pas forcément eu l’occasion d’entendre et ça nous révèle pas mal de pépites comme les bavures policières ou ce qui se passe en Chine, on ne l’aurait pas su ou ça serait arrivé plus tardivement à nos oreilles. 

Par ailleurs, bien sûr il y a toujours des points négatifs. Est-ce que trop d’informations c’est bon pour nous ? On ne parle peut-être pas assez de toutes les dérives sur internet comme le harcèlement par exemple.

Justement êtes-vous militante ?

Oui, je défends les droits des femmes, les droits des LGBT, les droits à l’éducation, et de nombreux droits comme l’écologie. Mon premier geste écologique par exemple est de rentrer en transport ou de prendre mon vélo, je trie mes déchets, j’essaie de ne pas consommer trop de plastique, je pense à éteindre la lumière, rien de fou…

Etes-vous quelqu’un de créatif ?

Oui je le suis, mais je crois que c’est une partie de moi que j’ai tuée. J’ai toujours rêvé de faire du théâtre mais je n’en ai pas fait.

Qu’est-ce qui vous a le plus marquée cette année ?

Je dirais que c’est une rupture amoureuse, mais c’est nul (rire).

Quel est le secret de la longévité en couple selon vous ?

Oh il ne faut pas me demander à moi car mes histoires n’ont jamais duré, c’est surement parce que je suis jeune. Mais pour ce qui est du secret, eh bien je n’ai pas de secret. Je pense qu’il faut être en accord avec soi-même, de la communication aussi, et réussir à aimer l’autre avec ses bons et ses mauvais côtés dans toute sa splendeur et toute son infinitude. 

Qu’avez-vous ressenti la première fois que vous êtes tombées amoureuse ?

Je ne sais pas car je ne suis jamais tombée amoureuse (rires), je crois que je n’ai pas encore connu l’amour.

Etes-vous une personne à l’écoute ?

Oui, j’écoute beaucoup, je m’imprègne des autres. Je ne suis certainement pas très douée en conseils parce que je ne me sens pas légitime de conseiller, mais j’écoute énormément.

Qu’avez-vous ressenti la première fois que vous avez habitée seule ?

La première fois que j’ai vécue seule c’était à l’âge de 18 ans. A 18 ans, on entre à la fac, on se prend son appartement et là on se dit que de nouvelles aventures nous attendent, la liberté est au bout du tunnel ! Et une fois qu’on est dans ses locaux et que l’on ferme la porte, on ferme la porte à tout notre passé, notre enfance, notre insouciance, à notre culture parfois, à notre éducation. J’ai dit au revoir à tout cela, le jour où j’ai claqué cette porte j’ai aussi dit au revoir à ma religion, à certaines règles culturelles, à certaines injonctions patriarcales, sexistes. En fait, j’ai abandonné l’ancienne identité pour en retrouver une autre. Ce moment de métamorphose est une étape douloureuse, il n’y a plus de mur, il n’y a plus rien qui nous tient, on est tout seul sans savoir à quoi se raccrocher. Puis il y a ce sentiment de vide qui nous rempli, la tristesse le désespoir et qui pousse à se demander qui on est réellement, où l’on va. Tout ces sentiments, c’était horrible et on se retrouve submergé par tout ça. 

En fait, on se découvre, on apprend à savoir qui on est mais c’est une étape qui n’est pas sans chagrin et sans douleur.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez gagné votre premier salaire ?

J’ai commencé à travailler à l’âge de 17 ans, et c’est bizarre mais j’étais gênée de gagner de l’argent. J’étais vendeuse dans une boulangerie et j’avais un rapport avec l’argent qui était très spécial. D’ailleurs je n’ai ça ne m’a jamais attiré par l’argent du coup le jour où l’on m’a payée, j’étais gênée. On rémunérait juste le boulot que j’avais fait à la sueur de mon front, mais j’étais gênée, je ne sais pas pourquoi, tellement que j’ai dilapidé toute ma petite fortune dans n’importe quoi juste pour ne plus avoir d’argent.

Aujourd’hui mon rapport à l’argent a changé, je me dis que je le mérite car tout travail mérite salaire et c’est comme ça ! Ce système fonctionne comme ça, on travaille on est payé et voilà. Mais je trouve ça quand même un peu bizarre (rire).

Est-ce que vous aimez visiter des monuments ou des musées ?

Oui, j’aime car l’art est toujours en moi, mais pour le moment je m’empêche de le pratiquer. Par conséquent, j’ai toujours adoré les musées, j’aime bien la peinture classique, j’aime la musique, le théâtre, le cinéma. J’aime visiter les églises, les mosquées, et autres lieux de cultes, les cimetières.

Que pensez-vous des musées ?

Je pense que ça dépend des musées, car il y a des musées complètement dans la reproduction coloniale, sans vouloir citer le Quai Branly, qui garde toutes les œuvres des pays colonisés.

Quel est le rôle de la musique dans votre vie ?

Il y a encore très peu de temps, la musique n’avait pas un rôle prédominant dans ma vie, mais depuis quelques temps j’aime bien écouter tout style de musique car ça m’égaye et ça me donne de l’énergie. Les textes, le rythmes ou le flow sont parfois inspirants et ça me donne des idées. En ce moment j’écoute beaucoup de rap, je n’en écoutais pas avant parce que je trouvais la musique violente, je n’aimais pas le fait qu’il y ait tout le temps des grossièretés, je ne comprenais pas le concept.

Mais quand on cherche un peu, on se rend compte qu’il y a autre chose de plus profond derrière les textes, il y a une histoire. Idem au niveau des artistes eux-mêmes, ce qu’ils essaient de faire est beau, c’est même politique, je pense que le rap est politique !

Quels sont vos projets sur le court terme ?

Je souhaiterai me lancer dans la vidéo, recommencer à dessiner, à m’écouter, à me retrouver aussi et c’est mon plus grand projet de me retrouver, de m’aimer.

Quels sont vos projets à long terme ?

A plus long terme, j’ai pour ambition de faire un tour du monde et de travailler avec des associations dans le but de leur apporter mes idées et mes compétences.

Qui est Yasmine aujourd’hui ?

Yasmine est une jeune femme qui se cherche beaucoup et qui veut bien faire et c’est justement pour ça qu’elle se cherche beaucoup. Elle ne veut pas se tromper, elle ne veut pas vivre une vie subie. Je ne veux pas subir la vie avec ses aléas extérieurs, je voudrais vraiment contrôler tout ça même si je suis consciente qu’on ne peut pas tout contrôler. J’ai envie de donner un sens à tout ce que je fais ou dis, savoir pourquoi je le dis, pourquoi le dire de telle manière.

Tout à l’heure nous parlions d’avoir un objectif, et c’est surement parce que je n’arrive pas à trouver mon but que je n’aime pas cette notion de se fixer un objectif.

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